Quand Shakespeare rencontre Disney

Parce qu'à ma grande surprise on peut encore spoiler Roméo Et Juliette, je préviens, JE SPOILE.

J'ai dû voir ce film trop tard. Pas parce que je l'ai démarré à 21h30, plutôt parce que j'ai attendu de me prendre de passion pour Shakespeare pour le voir. L'histoire, tout le monde la connaît avant même d'appuyer sur "play". Deux clans rivaux, deux jeunes amoureux que tout oppose, les fameux "star-crossed lovers", du drame, de la passion, des larmes, et tout le tralala. Sauf que quand c'est Willy qui s'y colle, ça fout vraiment les boules. Là, bon, c'est très très gentillet.

Trop gentillet si vous voulez mon avis (et si vous ne le vouliez pas, c'est le même tarif). Oui, oui, je sais, EIA a quelque chose contre ce qui est "trop gentil". Ben oui, mais je n'y peux rien, moi, si je n'y crois pas à tout ça! Attention, la gentillesse, ça existe, mais les gens gentils ne sont pas tous niais! Il y a des passages qui m'ont beaucoup plu, ces Jets qui sont atteints de "social disease", ces Sharks qui "like to be in America", Natalie Wood qui craque son slip et se prend pour Miss Monde, voilà, ça s'est sympa, là on cause correc' ! Mais pourquoi ils ont foutu de la buée sur la caméra pour isoler les tourtereaux lors de leur rencontre? Pourquoi ils arrêtent le génial "Mambo" (au passage si vous aimez ce morceau, écoutez la version par Gustavo Dudamel et son jeune orchestre, ça envoie du pâté) pour le remplacer par la scène de rencontre la plus cucul que j'ai pu voir? Il a buggé Tony, là, non? Il chante l'Ave Maria à des poubelles, faudrait p'têtre lui dire? Et le monde qui devient une étoile, on en parle?

Non, ce n'est peut-être pas la peine, je vais plutôt passer à l'adaptation de la pièce. Je trouve très bien cette idée de comédie musicale, reprise d'ailleurs par Baz Luhrmann dans une version beaucoup plus crédible si on veut mon avis (voir plus haut). Très bien, les bagarres chorégraphiées, les affrontements musicaux, géniale, Rita Moreno, super, George Chakiris, merci, Doc, je dis oui! Mais quand on apprend la mort de son frère à notre Juliette des années 60, il faut m'expliquer pourquoi, après un début prometteur entre elle et Chino, elle part en sucette? Et le Tony, c'est tout l'effet que ça lui fait, d'avoir tutoyé la mort? Vous me direz, c'est dans la pièce. Oui. Mais dans la pièce, on y croit, ce n'est pas choquant. D'abord, Juliette a 14 ans et aime de manière immature. Ensuite, la puissance des mots échangés, et la densité des scènes montrent bien un amour profond et passionnel. Cette passion on peut aussi la voir dans le Romeo+Juliet cité plus haut (le fait que Baz est repris le texte presque mot pour mot expliquerait-il cela?). Là, pudibonderie du début des années 60 assurément, la passion, ils l'ont sucrée. Ils essaient de la faire passer par les mots, mais je ne peux pas croire au speech de Maria face à Anita. Non, ma chérie, le mec qui t'a serré la main à travers une grille ne peut pas te serrer après avoir tué ton frère! Montre nous que tu l'aimes à ce point, ne le dis pas, vis le, je sais pas moi! Et bon, Maria, je m'adresse à toi parce que tu es sauvable. Tu as plusieurs bonnes scènes dans ce film, devant ton miroir, ou tout à la fin (mais ton accent espagnol sonne russe, tu m'excuseras). Par contre ton mec c'est une tête à claque. Il m'a agacée à chaque fois que je l'ai vu. C'est peut-être pas plus mal qu'il meure à la fin, va, tu te serais bien fait chier. Parce que oui! Scandale des scandales, ils l'ont fait! Ils ont sauvé Juliette! Ils-ont-sauvé-Juliette vous vous rendez compte! Mais enfin, c'est Shakespeare qu'on assassine, ou bien c'est moi? Où est le sens de la pièce sans sa fin sublime? Sa poésie? Comment encore pouvoir justifier le pardon de Juliette si elle vit? Assez éprise pour clamer qu'où il ira, elle ira, fidèle comme une ombre, mais pas assez pour le faire? Non, non, non, ça, ce n'est pas possible.

A noter que j'ai quand même passé un bon moment, et que j'ai des chansons dans la tête pour plus d'une semaine.