Noé
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Noé

Film de Darren Aronofsky (2014)

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Au sortir du cinéma, s'il est une chose évidente, c'est que Noé ne laisse pas indifférent. La salle, comble, se déverse sur le trottoir sous les rires moqueurs et les oh! admiratifs, on donne son avis avec plus de ferveur que d'ordinaire.

Ce qui pouvait se prévoir à l'avance : scandale annoncé depuis des mois, film attendu au tournant par les organisations religieuses d'un côté, prêtes à dégainer leur Texte Sacré pour condamner les impies ; par les cinéphiles de l'autre, religion d'un autre genre ayant ses propres rites et prompt à envoyer au bûcher les réalisateurs autrefois admirés, pour peu que l'occasion se présente.

A la sortie, les trois personnes qui m'accompagnent sont unanimes : le film ne serait pas bon, beaucoup trop didactique et pédagogique, frôlant le ridicule, sans aucune recherche visuelle intéressante, et tous trois se tournent de concert vers moi, attendant que mon rire moqueur ô combien diabolique se joignent aux leurs.

Seulement voilà, comme je suis rien qu'une enquiquineuse, moi le film m'avait plutôt laissée songeuse, en prise aux questionnements sur.. le cinéma.

(ATTENTION FORT TAUX DE SPOILS A SUIVRE)

Je suis effectivement d'accord que le film en lui même ne relève pas du chef d'œuvre. Arronofsky apporte une image clipesque intéressante, plus dans sa mise en scène du chaos et de la destruction que sur tout le reste du film, mais cela représente à peine cinq minutes, sur deux heures dix huit, soit un peu léger. Le reste du temps l'esthétique est très classique, reprend aux codes de l'héroic fantasy et du film catastrophe leurs personnages surnaturels ou leurs scènes de batailles et de fin du monde, sans apporter aux genres en question un œil neuf ni particulièrement soigné.

Cependant ce qu'il fait, c'est s'attaquer à un genre cinématographique démodé : le film biblique donc, en le remettant au gout du jour, et pour se faire en utilisant les fameux genre sus-cité.

Le discours est effectivement très didactique, faisant très grossièrement l'apologie du végétarianisme, il transforme le mythe de Noé en fable écolo. Le seul personnage de Noé est vraiment fouillé, les autres sont à peine esquissés, avec un tout petit effort en ce qui concerne un des fils de Noé, Cham, et la fille qu'il a recueillie enfant, Illa.

Bref, l'objet cinématographique "Noé", pour parler pompeusement (je fais ce que je veux c'est ma critique, gros malin) ne m'a pas transportée. Pas assez abouti, trop grandiloquent, trop caricatural.

Mais paradoxalement ce sont les défauts de ce film qui m'ont intéressée. Je ne pense pas qu'Arronofsky tendait à revisiter la Bible, mais le genre donc, du film biblique, en (tentant) d'enlever tous signes religieux distinctifs ( Dieu n'est jamais nommé mais appelé "le créateur", aucune religion n'est nommée, il change des détails..) afin surement de toucher un public plus large.
La caricature qu'on y voit, le déluge d'effets spéciaux, me parait démarche plus honnête que celle utilisée d'ordinaire dans les films catastrophes. Tous reprennent l'idée d'Apocalypse, de Messie, de Création, en voulant avoir l'air de ne pas y toucher, là c'est comme si Arronofsky nous disait : "Vous voulez la fin du monde, je vous la sert." Tentant de purifier l'art en général et le cinéma en particulier de toutes référence religieuse, de tout prosélytisme, il semblerait qu'Hollywood, entre autres, ne puisse parvenir à s'en détacher tout à fait et à défaut de toujours parvenir à se créer sa propre mythologie, passe son temps à remâcher les mythologie universellement connues et reconnues. "Noé" en cela est comme un miroir grossissant tendu à l'industrie cinéma, d'où, peut-être les ficelles aussi discrètes qu'un éléphant dans un Arche.

L'autre point qui m'a intriguée ( AI JE DEJA DIT QUE JE SPOILAIS? ) c'est la manière dont est traitée le personnage de Noé, et le point de vue du réalisateur sur son héros.

Je suis à vrai dire passée pour une psychopathe en demandant si j'avais été la seule à prendre le parti de Noé, curieuse de savoir si le film avait réellement été fait dans l'optique qu'on s'identifie avec Noé, ou bien avec le reste de sa famille, lorsque celui ci est poussé à l'extrême dans sa logique de création d'un Nouveau Monde débarrassé du genre humain. Il menace alors son fils, Sem, d'éliminer sa descendance si celle ci a l'audace de naitre de sexe féminin.
J'ai eu alors plus de pitié envers le pauvre Noé, qui s'échine à sauver le monde, les animaux, et à veiller à l'extinction de la race humaine dans un souci de justice égalitaire, disons, et qui se retrouve à devoir compter avec un polichinelle dans le tiroir parce que sa femme, débordante d'amour maternel, préfère foutre en l'air la carrière de fou mystique de son cher et tendre pour assurer à ses enfants le bonheur de devenir parents à leur tour. Pour moi c'est la position de Noé qui est la plus dure à vivre, confronté aux siens, tiraillé entre son sens du devoir et son amour paternel, lui qui est d'un naturel bienveillant et aimant ne peut qu'être tiraillé. Car après tout, en toute logique s'il est envoyé pour éteindre la race humaine et sauver les animaux (dans la version Arronofsky puisque dans la bible il repeuple le monde et embarque toute la smalla), pourquoi sa famille devrait survivre plus que celles des autres? Parce qu'elle est descendante d'Abel? La belle affaire, et la nature humaine ne voudrait donc rien dire, donc à quoi bon tuer tous les autres? A quoi sert d'éliminer tous ces gens si ce n'est pas pour en finir avec l'Homme? Il peut trouver le courage pour cette boucherie si elle a un sens, mais si il faut tout remettre en question par partialité, alors tout ce qu'il a fait ( et c'est pas joli) ne rime à rien.

Tout cela montre un Noé tiraillé, un héros de la bible dépeint en fou mystique. Et ça n'a pas plu aux groupuscules chrétiens qui ont fait pression sur la Paramount pour changer certains détails et enlever de sa noirceur au film. Dans quelle mesure le film projeté est celui d'Arronofsky, dans quelle mesure celui de la Paramount?

A ceux qui ont eu la patience et l'envie de me lire jusqu'ici, et qui ont vu le film, je pose une question : je suis vraiment la seule à avoir pris le parti de Noé? Il faut que je m'inquiète de ma santé mentale?
EIA
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le 13 avr. 2014

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