Pendant tout le film, Jafar Panahi affiche un sourire en coin qui veut dire beaucoup. Interdit de sortie du territoire, interdit de réaliser des films, Panahi a plusieurs reprises à trouver le moyen de faire des films malgré tout. Ici, comme son titre l'indique, l'on est parti pour un (court) road trip en plein Téhéran, dans l'habitacle d'un taxi conduit en dilettante par le réalisateur hilare.


Deux personnes sont montées dans le taxi, un homme et une femme. Lui a une vision belliqueuse de la justice, et voudrait voir des têtes tombées pour l'exemple. Elle tente de le mettre face à ses contradictions. Quelques instants, le doute subsiste : Panahi a-t-il filmé ces personnes à leur insu, ou bien Est-ce que ces séquences sont scénarisées? Très vite, la mise en scène nous indique que nous sommes dans une fiction : les différents plans s'enchaînent, hors il semble peu probable que les passagers ne se rendent pas compte qu'autant de caméras sont braquées sur eux. De plus, une incohérence dans le déroulement prouve que la temporalité suggérée n'est pas celle du tournage : une femme déposée à un endroit cinq minutes avant, téléphone à Jafar d'un tout autre endroit, sa situation ayant miraculeusement évoluée dans un laps de temps très court.


Une fois établi le caractère fictionnel du film, on comprend tout de suite le propos de l'Iranien, qui parle principalement de censure, de cinéma et d'absurdité. Devant le peu d'intérêts que peuvent présenter les films qualifiés de "diffusable" par le gouvernement, on constate que cela n'empêche pas les Iraniens d'être tout à fait au courant de ce qui se fait ailleurs, pour peu qu'ils s'en donnent les moyens. On croise une avocate qui garde le sourire malgré les accusations aberrantes contre lesquelles elle doit défendre ses clients. La nièce du réalisateur tient également une place importante, mettant au service du film sa naïveté d'enfant pour questionner ce qu'on lui enseigne. Il est permis de filmer la réalité, mais pas la noirceur. "Ils créent une réalité sombre et ils ne veulent pas qu'on la montre, je ne comprends pas bien." Que ce soit deux mamies un peu cintrées, une institutrice humaniste, une avocate radieuse ou une jeune femme préoccupée par son avenir, le film questionne beaucoup la place de la femme au sein de la société iranienne.


Pour ce qui est de l'épisode des deux grands-mères et de leurs poissons rouges, comme nous étions un peu dans le flou en sortant du cinéma quand à la signification de cette séquence ( en dehors d'être assez drôle), j'ai émis une hypothèse dont j'aimerais pouvoir débattre. Ces deux femmes très pressées veulent à tout prix rendre à la source où elles les ont prises, deux poissons rouges, et ce avant midi, question de vie ou de mort. Mon idée, c'est que ne pouvant pas ouvertement critiquer l'absurdité des rites religieux, Panahi montre ces deux femmes qui ont la foi en leur poissons rouges, pour faire le parallèle et mettre en exergue le ridicule qu'il peut y avoir à se sentir obligé de devoir faire telle ou telle chose par croyance.


Au delà du propos, on sent l'amour de Panahi pour le cinéma. Je reste pourtant d'accord que le film a des maladresses dans sa mise en scène, et dans les dialogues parfois un peu gros, qui sont sans doute justifiés par le peu de moyens et le court laps de temps que Panahi avait à sa disposition pour réaliser son film.


Viva le cinéma.

EIA
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le 1 mai 2015

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