True Detective
8.2
True Detective

Série HBO (2014)

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True Detective arrive à une période charnière pour les séries télé. Au moment où l’excellence règne et suivre la cadence devient plus compliqué que jamais pour tout spectateur. Il faut donc faire des choix, malheureusement. Il y a eu d’autres époques durant lesquels la télévision a connu ses heures de gloire : les Soprano et Six Feet Under au début des années 2000, Lost et, plus récemment, la conclusion éprouvante du chef d’oeuvre Breaking Bad. Or, avec House of Cards, qui a gentiment révolutionné le genre en reliant la télé aux opportunités technologiques, la première sérié créée par Nic Pizzolatto abandonne peu à peu le cadre du feuilleton que l’on regarde chez soi, tranquillement, pour des ambitions narratives décuplées. Ou l’exaltation cinématographique par définition.

Mené tambour battant durant huit épisodes par la mise en scène de Cary Fukunaga, True Detective peut facilement concourir au titre d’œuvre cinématographique à part entière. Chacun plan est travaillé, léché à l’extrême, et la confrontation entre les trois périodes, de 1995 à 2002 pour finir en 2012, reliés peu à peu au fil des épisodes, en fait une série à l’approche tant métaphysique que théologique. Le temps est un cercle plat comme disait Nietzche. C’est cette citation qui colle à la peau de chacun des personnages et qui va bousculer le duo de flics dans leur expédition. L’enquête autour d’un serial-killer, dénommé The Yellow King, est un prétexte à une analyse plus approfondie de l’homme, aspiré, inspiré par le milieu dans lequel il évolue. Marty et Rust, interprétés par Woody Harrelson et Matthew McConaughey, forment un tout, duquel aucun des deux ne peut s’extirper. La relation, d’abord professionnelle, qui se développe file rapidement à des rapports plus intimes, jusqu’à une sorte de relation fusionnelle. Amour jamais révélé, ce n’est pas ce qui intéresse Nic Pizzolatto et Cary Fukunaga par ailleurs. Mais bien comment une enquête peut faire basculer leur quotidien et devenir tant un point d’appui sur lequel se relever d’échecs amoureux, professionnels, qu’un élément de destruction conjoint. Les notions de douleur et de bonheur joints sont d’ailleurs une autre des facettes de la série. La moitié de la saison les affiche de manière diffuse en montrant les secrets de ses héros et que l’un sans l’autre, en bâtissant un intime, le naturel reprend le dessus.

L’approche intimiste et intellectuel ne fait cependant pas oublier ce qui se passe à l’image. True Detective base toute son énergie à la destruction de codes de la télévision pour arpenter une mise en scène racée, crasseuse et naturaliste. Les longs silences traversent l’écran par plusieurs fois et l’ambiance ne met que peu de temps à prendre place. Souvent à quelques pieds d’un Terrence Malick, notamment dans le sublime épisode cinq qui semble marquer le tournant du format dans une dimension métaphysique, Cary Fukunaga réussit le pari de ne jamais céder aux tics de la télévision, tout en se permettant des égards où la virtuosité apparaît de plein fouet. A l’image du grand plan-séquence du quatrième épisode, où intensité et fureur sont légions. La série est portée par ses acteurs, certes, mais aussi par la liaison entre le créateur et le faiseur d’images que sont Nic Pizzolatto et Cary Fukunaga. True Detective est donc tant une série-traquenard qu’une interrogation voilée sur la création. The Yellow King est en quelque sorte le bâtisseur de la série, invisible, imperceptible à l’œil nu, et qui apparaît pour ne finalement rien dévoiler. Constamment proche du précipice artistique, True Detective survit pourtant face aux pièges qui se dressent sans cesse face à lui.

Le sixième épisode, porté sur le rapport des héros au désir, aurait pu laisser imaginer une fin digne d’un soap opera. Or, ce sont les tares de ces deux salopards solitaires qui vont amplifier leur relation. Passée la détestation, True Detective et ses protagonistes gagnent en force. L’homme détruit laisse place à la pure icône fictionnelle, sans peur ni loi et l’écriture les emporte en explorant aussi le visage de cette Amérique dévorée par des peurs invisibles et des superstitions. Plus fort chaque épisode pour finalement clôturer vers un vortex. De la noirceur qui caractérisait la série tout du long, c’est une touche de lumière qui vient fermer un premier volet d’une exceptionnelle virtuosité.

Paradoxalement, True Detective apparaît à la fois comme un renouveau pour l’univers télévisuel et le glas d’un format qui a longtemps fait office de simple divertissement, qui s’est allongé au fil des années pour se normaliser. Avec sa posture cinématographique, Nic Pizzolatto a donc préféré la cohérence à l’hystérie, la réflexion sur la Création à une enquête prévue comme auto-destructrice et qui n’aurait pas pu finir autrement. Reste à savoir désormais, face à la fulgurance du phénomène, comment HBO et le créateur de la série se sortiront d’une équation aussi complexe que le passage à une deuxième saison, sans ses icônes et un cinéaste qui s’est révélé en explorant les frontières encore méconnues du paysage télévisuel. Jamais cinéma et télé n’avaient été liés avec une telle malice et une compréhension de la puissance évocatrice de l’image aussi marquée. La deuxième saison, c’est souvent comme un deuxième album. Une consécration ou un chaos véritable, continuer d’avancer ou figurer dans l’ombre. A savoir vers quel chemin se dirigera True Detective, mais il n’en demeure pas moins qu’elle est déjà un nouveau pan de l’Histoire du petit écran américain.
Adam_O_Sanchez
9
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le 18 mars 2014

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Adam Sanchez

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