Dans le cinéma actuel, peu de réalisateurs peuvent se targuer d’être des visionnaires et d’avoir été ainsi érigé par un groupe, une profession, en modifiant voire en révolutionnant symboliquement les trajectoires d’un genre qu’ils ont arpenté. Si l’on ne présente plus les Wachowski, célébrés puis décriés à travers une seule et même trilogie telle que Matrix, et enterrés face à l’échec public et critique du – pourtant – jouissif Speed Racer, Cloud Atlas est sans nul doute leur oeuvre la plus complète, la plus virtuose et la plus personnelle que le duo ait pu offrir au cinéma dans sa généralité.

Au travers des difficultés rencontrées d’une élaboration chaotique plus que celles d’une oeuvre d’une beauté rare et réputée inadaptable, les réalisateurs survolent le tout avec une musicalité démentielle. Obstacle après obstacle, le duo américain, soutenu à la réalisation par l’allemand Tom Tykwer (Le Parfum, Cours Lola Cours), emmène alors son récit vers la symphonie et éveille, au travers de six histoires imbriquées dans une morale véritable, les réflexions immortelles et innombrables sur l’Homme et les liaisons covalentes qui l’attachent au fil des époques et de la traversée de l’Humanité dans ses évolutions majeures. Il est incroyable de voir une telle oeuvre apparaître sur grand écran au vue d’une histoire si inénarrable au spectateur lambda et d’y trouver une fluidité, une cohérence inattendue dans les thèmes abordés et la manière avec laquelle elle réussit à les gérer, scène après scène.

En une fresque grandiose de près de trois heures, portant un raisonnement aussi théologique que humaniste, Cloud Atlas parvient à conserver cette émotion constante au fil de sa conséquente durée et à susciter une fascination commune pour chacun des personnages. Chacun des acteurs entretenant respectivement six rôles et portant donc un rôle plus ou moins important dans les récits parallèles, le trio vient piocher dans ce qui se fait de plus has-been dans son casting et use d’un incroyable florilège de maquillages et de personnalités pour forger une puissance totale chez le regard de chacun. De la profondeur troublante du regard de Doona Bae, superstar chinoise venue apporter de l’innocence et de la peur dans un mini-film d’anticipation qui écrase de son immense précision des effets spéciaux un regard majestueux sur la foi et la liberté, en passant par un Tom Hanks inoubliable dans chacun de ses personnages et l’inimitable jeunesse portée par Ben Whishaw et Jim Sturgess, tous deux absolument superbes, Cloud Atlas est un film fait de tout, maniant chacun des genres avec maestria et dont la portée de chacune des images en font une oeuvre inoubliable mais certes parfois déroutante.

De par son regard proche du passé de l’Humanité dans son Histoire et l’éternelle rattachement à la morale originelle, le film ne semble prendre aucune direction véritablement détournante et mène son épopée avec un rythme de croisière constant, prenant, mais imprégnant sa totale et irresponsable démesure et une ambition au-delà du simple cinéma d’aventure comme la marque de son identité hors pair, transgenre. S’exportant du XIXème siècle, en pleine période esclavagiste, jusqu’en 2321, du drame historique jusqu’à la comédie burlesque en passant par le pur film post-apocalyptique, Cloud Atlas traite continuellement l’avancée de l’Homme dans son univers et son affranchissement à travers les époques, de la candeur d’un jeune homme abolitionniste jusqu’à la voix innocente d’une androïde devenue la force de la rébellion malgré elle. Chaque image, chaque séquence du film a une importance.

Comme précédemment avec le Anna Karenine de Joe Wright, le montage signée par l’inattendu Alexandre Berner (ayant officié sur différents films du tâcheron Paul W.S Anderson) marque une immuable fluidité, brisant la barrière des époques et les trajets entraînés par les protagonistes qui se ressemblent, inconsciemment.

Cette éternelle liberté, aussi narrative que artistique, permet donc aux Wachowski de développer des enjeux intrinsèques et révéler, derrière le maquillage «carton-pâte» des acteurs, l’émotion des récits et des destinées de leurs héros. La musique signée par le co-réalisateur lui-même, Tom Tykwer, entretient le rôle complémentaire du film, entraîne la cadence rythmique infernale promulguée par ses créateurs. Chaque montée de tension, chaque visage tuméfiée, larme versée, projette vers un écho de la partition du brillant touche à tout germanique. Les diverses réécritures du Cloud Atlas Sextet, époque après époque, amplifie l’aspect indémodable de l’oeuvre et crée l’attache vers un univers cinématographique dans lequel les décors et les histoires se suivent et s’assemblent tel un recueil d’histoires extraordinaires que seuls les Wachowski et Tom Tykwer auraient pu s’y attaquer.

Oeuvre à l’ampleur monumentale dans laquelle chaque acte résonne en un chant révolutionnaire et en une symphonie de la libération des corps, Cloud Atlas souligne derrière chaque plan sa volonté inéluctable à porter son récit au-delà de la simple barrière du récit humaniste. Trip cosmogonique porté par un casting à la réussite exemplaire, bien malgré un maquillage grossi et parfois inégal, le trio signent un véritable chef d’oeuvre à la portée indescriptible, bouleversant de sincérité et brillant de technique et de fluidité. Sublimant chaque note de cette ode à la vie, Cloud Atlas devient le symbole d’un cinéma d’aventure, dansant entre les codes des genres.

Nouvelle odyssée filmique forgée à coup de grandes scènes musicales, avant le voyage vers l’ailleurs, au-delà des nuages, en place vers une terre rarement atteinte par l’imaginaire de l’Homme, celle de Jupiter.
Adam_O_Sanchez
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le 11 août 2013

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Adam Sanchez

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