20 ans après la trilogie originale, le miracle allait renaître : un nouvel opus du Seigneur des Anneaux. Sous forme de série, il allait faire non pas trois, mais huit heures (x5 en comptant les futures saisons) de récit consacrées à la Terre du Milieu, et le budget allait être faramineux. On parlait plutôt, au début, d’adapter le Silmarillion, grande œuvre de Tolkien précédant chronologiquement le Seigneur des Anneaux. Vu comme ça, tout pouvait sembler parfait.  

Et pourtant, le ver était dans la pomme : pas de Peter Jackson ou autre réalisateur passionné aux commandes, une superproduction dont le budget s’élevait à des milliards, un produit phare pour une plateforme de streaming, Amazon, où la qualité n’est pas toujours au rendez-vous, et à une époque où les remakes, suites et préquels médiocres sont légion.  

Tout ça pour dire que dès ses prémisses, Rings of Power s’apparentait plus à un projet comme Disney les aime tant, tel le remake de Star Wars ou une quelconque production Marvel, qu’à la trilogie originelle du Seigneur des Anneaux. L’adaptation de la Roue du Temps, sur Amazon, mal-aimée (et non visionnée de ma part), semblait être le meilleur aperçu de ce qu’allait donner cette série. 

Les premières images nous ont donné à voir une Terre des Milieux multiculturelle ; assez peu cohérent (si différentes ethnies cohabitent ainsi, sans mondialisation particulière, ne devrait-il pas y avoir une prééminence de métis ?), cela ne disait pas grand-chose de la série elle-même. Cependant, cela reste symptomatique des productions actuelles, où ce genre d’initiative est cyniquement mis en avant pour créer artificiellement de la polémique sans avoir à répondre de la qualité du fond de l’œuvre en lui-même. 

Plus préoccupant : Amazon n’a pas obtenu les droits du Silmarillion. C’était donc une histoire inédite, basée sur la chronologie de quelques lignes comprises dans les Appendices du Seigneur des Anneaux, qui allait être racontée. Pour moins perdre le téléspectateur et garder les mêmes personnages sur plusieurs saisons, cette chronologie, qui s’étend normalement sur des siècles, a été raccourcie pour tenir sur quelques décennies. Étant donné ce revirement un peu opportuniste, et au vu du précédent Game of Thrones, où les écarts vis-à-vis récit original, inachevé, avaient fini par vautrer la série dans la médiocrité, il y avait de quoi s’inquiéter, les scénaristes de séries de fantasy semblant souvent manquer un rien d’imagination. 

Et ça n’a pas manqué : à l’arrivée, la série est évidemment décevante, et finalement, sur le plan qualitatif, pas très éloignée de la dernière saison de Game of Thrones elle-même. On y trouve des défauts similaires, comme la maladresse du récit, où les personnages semblent se téléporter (notamment dans l’épisode 6), des moments bavards, vides et ennuyeux entrecoupés de grands éclats spectaculaires mais en général peu cohérents, des personnages fades perdant en fidélité avec ceux de l’œuvre de Tolkien : Galadriel en particulier, semble avoir viré de reine de glace à tête brûlée vengeresse, un rien Mary Sue, malgré ses 3000 ans au compteur.  

Pour meubler le vide, on invente des mystères : qui est Sauron ? On remplit, aussi, avec des intrigues frisant parfois le ridicule (cette histoire d’arbre à abattre dans l’épisode 3, qui n’a bien sûr aucun impact sur le récit). Quasiment rien ne semble original, tout semble reposer sur des schémas éculés. La plupart des personnages eux-mêmes semblent calqués sur le modèle du Seigneur des Anneaux : le magicien et les deux hobbits (au féminin cette fois-ci ; l’une mince, l’une loyale et plus en chair comme l’était Sam), l’amitié entre l’elfe et le nain, l’elfe archer placide mais agile, le retour du Roi. Les personnages inédits sont pour la plupart oubliables (hormis l’antagoniste Adar), et les quelques perches qui auraient pu mener à un développement plus poussé sont bien vite abandonnées.

(On pouvait voir par exemple un début de potentiel avec le jeune Théo qui, tenté par le « côté obscur », trouve au début du récit l'épée de sang (qui s'avère par la suite être une simple clé (!)) ou sa mère, qui manque à un moment de mourir, ce qui aurait pu apporter une véritable tension dramatique au récit ; mais la série ne choisit pas de suivre ce genre de voie et part vers quelque chose de plus générique où les gentils restent gentils et surtout vivants.) 

Malgré tout, on peut trouver quelques qualités à cette série. Elles sont finalement surtout liées au budget imposant, qui permet de donner corps à des décors extraordinaires et jusqu’à présent jamais vus de l’œuvre de Tolkien, comme la cité Númenor ou Khazah-dûm durant son âge d’or. Tout en restant très bancals du point de vue scénaristique et peu fidèles à l’œuvre Tolkien, certains aspects, notamment liés au Mordor et au mal qui ronge la Terre du Milieu, font montre d’une esthétique sinistre assez convaincante qui peut rappeler les opus originaux. Quelques images, comme celle des arbres de Valinor, ont un aspect iconique et c’est là qu’on sent que ce budget n’aura pas (entièrement) servi à rien. 

Mais même sur ce point-là, les faiblesses restent patentes : les costumes paraissent globalement cheap par rapport à ceux de la trilogie de Peter Jackson et beaucoup de scènes, notamment avec les elfes, lorgnent dangereusement vers le kitsch. Les Anneaux de pouvoir éponymes semblent eux-mêmes avoir peu d’importance au sein de cette histoire, comme un détail un peu toc rajouté au dernier moment.  À côté de ce genre de négligence, de nombreux ajouts, comme celui d’une intrigue bancale à base de Mythril, sont davantage mis en avant, peuvent sembler bien maladroits… et rappeler Star Wars et ses midichloriens.

On en revient donc aux licences phares de Disney.  Au final, on est donc sur une superproduction divertissante comme le cinéma et maintenant le monde des séries les aime tant aujourd’hui. Auprès du public-cible de ce type de production, qui appréciera probablement le grand spectacle tout en ayant de quoi discuter à la machine à café, une série telle que les Anneaux de Pouvoir pourra se montrer tout à fait satisfaisante. Mais malheureusement, elle laissera sur le bas-côté tous ceux qui sont attachés à l’œuvre de Tolkien et à son aspect mythologique, solennel et poétique, à mille lieux des rebondissements et contingences montrés à l’écran.

Moonrise
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le 24 oct. 2022

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