Quand ils se sont rendus compte des nombreuses tentatives maladroites d'Amazon pour dissimuler l'étendue des retours négatifs de leurs clients abonnés, de nombreux youtubers américains s'en sont donné à cœur joie pour stigmatiser la direction de la plateforme. De tristes tripatouillages mis en lumière (audiences réévaluées, avis négatifs effacés en volumes colossaux) qui ont mis toute l'équipe aux manettes de ces Anneaux de pouvoir sur la défensive, au point de finir par traiter les détracteurs de la série de racistes, manifestement mauvais ("patently evil") et/ou représentants d'une droite extrême.


Si une partie des spectateurs qui ont violemment rejeté la série entrent bien dans les catégories pré-citées, elle n'en constitue pas moins qu'un infime proportion d'une majorité de spectateurs qui a légitimement constaté que le spectacle qui lui était proposé était navrant, pour des raisons beaucoup plus artistiques que politiques.


Trois pistes évidentes, au moins, expliquent que le projet était voué à un échec cuisant dès sa conception.


Une trahison évidente envers l'esprit des livres de Tolkien (et ce n'est pas le problème principal)


Adapter c'est trahir, comme le veut l'adage, et Peter Jackson lui-même en avait parfaitement compris le principe, en livrant un version très personnelle de l'œuvre phare de JRR Tolkien. Mais ce dernier, en véritable artiste qu'il est, a compensé quelques-uns des (grands) écarts consentis par rapport à son matériel d'origine par deux garde-fous fondamentaux: en livrant 1) une œuvre de qualité qui 2) respecte l'esprit de l'auteur.


Deux éléments totalement étrangers à cette livraison rapide du site maître de l'accessoire à bas-prix de qualité douteuse.


Il est très ironique d'entendre en interview Patrick McKay et John D. Payne, auteurs de la série, clamer que le maitre mot de leur travail avait été de rester collé au livre d'origine et d'y revenir sans cesse. L'idée même d'investir le second âge et de puiser dans le Silmarillion était aussi périlleux que prometteur, il est donc édifiant de se rendre compte à quel point ces deux auteurs se sont servis d'un texte révéré par des millions de lecteurs depuis 70 ans pour… ne rien en faire.


Ou faire comme s'ils n'en avaient pas compris l'essence. Écrivant une non-histoire, piochant impunément dans un catalogue de vignettes (personnages, lieux) dont il une comprenaient aucun des éléments qui les reliaient entre eux.


Le résultat est un mélange d'idées saugrenues (le mitrhil comme matériaux miracle pour sauver la race des Elfes mourant pour des raisons inexplicables) d'enjeux abscons (que quelqu'un tente d'expliquer le parcours de Sauron dans cette histoire) et d'arcs narratifs inutiles et distendus (a quoi sert le futur Gandalf dans toutes cette longue et triste affaire ?).


La défense des auteurs à qui l'on a reproché de faire de Galadriel ce personnage pour le moins surprenant au cours de ces huit épisodes résume à peu près toute l'étendue de leur manque d'envergure intellectuelle: Tolkien n'aurait jamais écrit qu'elle n'avait pas fait ceci ou cela. A ce compte-là, évidemment, il était possible de la dépeindre comme inventrice de la bombe atomique ou championne des terres du milieu du jeu de quilles avec lancer de têtes d'orques.


Mais les biais d'écriture ne s'en sont pas tenus à ces quelques libertés, souvent malheureuses. Introduire plusieurs personnages féminins forts et décisifs est une bonne idée, n'avoir QUE des femmes en personnages forts et décisifs est une absurdité.


Diversité, girl empowerment et monde d'aujourd'hui


Impossible de ne pas revenir sur la pluie de reproches plus ou moins véhéments qui est tombé sur le production, concernant la place de la diversité culturelle et celle des femmes dans le récit. Reproche qui est largement repris à propos d'une majorité de productions hollywoodiennes récentes, avec de funestes retombées, comme en témoigne ce qu'on a pu lire ou entendre après la mise en ligne de la bande-annonce de la petite sirène, quelques semaines avant la sortie des Anneaux de Pouvoir.


On peut sans doute dire deux choses de ce phénomène.


Estimer d'abord que, de la part des studios, il puisse s'agir maintenant d'une véritable stratégie, pourquoi pas assez cynique, employée dans un but précis. Au-delà de cette recherche de redonner une place plus importante aux femmes et aux minorités dans l'entertainment américain (qui est à la base parfaitement louable et vertueux)., les producteurs se servent souvent des polémiques nées de l'utilisation maladroite de ces nouveaux usages pour camoufler un éventuel (et malheureusement quasi-systématique) désastre artistique. Plus on parle de la couleur de peau ou du sexe des personnages moins on évoque la qualité d'écriture qui préside à leur destinée.


Avec cette défense plutôt pratique: si les gens n'aiment pas les produits qu'on leur propose, c'est qu'ils sont misogynes ou racistes, pas qu'ils recherchent une œuvre de qualité. On peut dans ces conditions empiler les remakes inutiles et sans inspiration, en se contentant de changer l'apparence du héros. On ne parlera que de ce changement (la polémique étant de la publicité peu coûteuse), pas de la légitimité du remake.


L'autre réflexion, encore cruelle pour la série d'Amazon, vient du fait qu'elle a été mise en ligne au même moment que House of the dragon, concomitance qui a creusé semaines après semaines le gouffre qui séparait les deux œuvres. Si chaque aspect des deux productions accusait un écart vertigineux (écriture, casting, réalisation, décors, etc…) et de plus en plus évident à mesure que l'on s'approchait leur termes respectifs, ces mêmes questions de visibilité des diversités et de la place de femmes fortes contribuaient à mesurer la différence de qualité entre les deux séries. On pourrait en effet facilement reprocher à la concurrente un manichéisme idéologique aussi grotesque que celui des Anneaux de pouvoir (lutte entre deux femmes, famille noire introduite curieusement…) mais ces éléments sont chez HBO au service du récit, tout en le soutenant (la couleur de peau de la famille Velaryon, par exemple, a des conséquences directes sur le cours de événements). Tout le contraire de ce que proposent McKay et Payne, qui n'est qu'un amas d'artificialité et de non-sens.


Symbole de ce manque de cohérence narrative, quand les peuples de Game of thrones dépendent de leur géographie (populations blanches au nord, méditerranéennes ou africaines dans les pays du sud et asiatique à l'est) un seul village perdu et reculé au fond des terres du milieux abrite toutes les cultures et origines, sans explication envisageable.


Un des principes qui a présidé à l'écriture de la série était de refléter le monde d'aujourd'hui, selon l'aveu même de ses deux show-runners, et le moins qu'on puisse dire est que ce principe s'adapte plus ou moins bien à l’œuvre choisie. Faire d'un village des southlands l'équivalent d'une capitale du 21ème siècle tient plus de l'incongruité que de l'inspiration avisée. En tout cas quand on cherche un univers cohérent.
Pour résumer autour de ces notions sensibles concernant l'inclusivité et le girl empowerment: bien fait, c'est top, fait avec les pieds (velus), c'est à proscrire.


Investissement à fonds perdus


Je me suis montré très étonné lors de la diffusion des deux premiers épisodes qu'un projet de cette envergure (il s'agit de la série la plus chère jamais produite, comme ont aimé le déclamer à satiété les représentants de la plateforme, qui voulaient attirer le chaland) puisse faire le choix de quelqu'un comme J.A. Bayona comme réalisateur de lancement. Que l'on aime ou non son travail, ce choix pouvait faire débat au regard de l'argent investi. Après examen, il s'avère que le technicien espagnol sera le nom le plus clinquant du casting.


Ses deux collègues n'ont à leur actif que des réalisations de séries, dont aucune n'émarge au rang de celles que l'on peut considérer comme inoubliables.


Mais que dire des deux show-runners ? Une consultation rapide de leur page IMDB est édifiante: ces deux types n'avaient strictement jamais rien écrit pour le cinéma ou la télévision (si ce n'est une participation -non créditée- à un Star Trek). La question est vertigineuse: comment peut-on confier les rennes de la production la plus chère de l'histoire des séries (ou des plateformes désormais toutes puissantes) à de parfaits inconnus n'offrant aucune garantie artistique ?


Tout cet argent, englouti entre autre par les droits d'adaptation et le choix des lieux de tournages (pour quelques trop rares plans fugacement réussis) n'a donc pas servi à étoffer un casting qui représente un autre des grands points faibles du projet. Presque aucun acteur n'émerge de cette bouillie interprétative, Morfydd Clark se montrant un révélateur douloureux de l'exemple d'une actrice n'ayant pas les épaules pour endosser l'armure clinquante d'une improbable cheffe de guerre antipathique, auto-centrée, qui se révèle au final une assez pathétique héroïne.


S'enchaînent ainsi huit longs et pénibles épisodes qui alternent sur-place épuisant et fulgurances séquences d'action grotesques (ah ! les combats Snyderisés de Galadriel !), peuplés de personnages inutiles, creux ou contradictoires (magnifique laïus final d'un pieds-velus qui déclame que leur principale force est de rester soudés quand quatre épisode auparavant les mêmes expliquaient qu'ils avaient pour habitude d'abandonner les leurs quand ils étaient blessés), réalisant des actions incompréhensibles (d'où vient cette garde d'épée mac-guffin servant à déclencher l'avènement du Mordor ? Qui a mis en place le dispositif titanesque déclenchant l'inondation ?) ou parfaitement contraires aux écrits de Tolkien.


Le tout dans un univers absurde où l'on se rend d'un point A à un point B en deux scènes alors qu'ils se situent aux deux extrémités de la carte, ou l'on chevauche à bride rabattue en armée déterminée pour sauver un village jusqu'alors inconnu, et où l'on peut chevaucher six jours à l'article de la mort.


Une pauvre série de mystery boxes (mais qui est Halbrand ? Mais qui est le vieux fou ?) dont la résolution finale prend la forme d'un twist laborieux qui confirme lamentablement tout ce que le public craignait depuis le premier épisode. Et où on essaie de jouer sur une tension impossible à propos de la mort de personnages dont tout le monde sait qu'ils sont vivants au troisième âge (Isildur, Galadriel).


C'est donc lessivés par tant de médiocrité qu'on sort de cette tentative dénuée de tout talent, en espérant secrètement que l'investissement financier phénoménal consenti pour la mettre en œuvre sera également la raison de son arrêt. Il est sans doute encore temps que les investisseurs mesurent l'étendue du désastre (si ce n'est artistique au moins stratégique) et décident de mettre fin à cette funeste entreprise.

guyness
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le 20 oct. 2022

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