Noirs dessins
Thérèse Raquin est un roman glauque et d'une noirceur abyssale. Aucun des personnages ne suscite l'attachement ou la pitié, peut-être un peu Thérèse au début, mais l'on ne peut s'empêcher de penser...
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le 9 août 2013
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Si les procédés méticuleux qu’emploie Émile Zola afin de diagnostiquer les maux invisibles d’une société trompeuse et fausse renvoient à un style de description naturaliste, Thérèse Raquin souffrirait d’être réduite à ce qualificatif qui exprime inexactement les qualités de cette œuvre dont l’aride immersion provoque un chamboulement envoûtant. Car comprendre la brutale poésie qu’éparpille Zola requiert un relâchement de la part du spectateur qui doit accepter le plongeon dans l’abyssal tumulte psychologique que promet l’œuvre. Elle confine sa narration à un climat claustrophobique entretenu dès les premières pages, et qui aura pour fonction de catalyser les comportements de la galerie de personnages croqués; ces pantins manipulés par la fatalité qu’ils transportent se voient écartelés. Une dévorante excessivité déforme leurs agissements.
Les gradations dramatiques que tricote l’auteur posent patiemment les évènements précurseurs de la rupture; comme si le point névralgique était constamment repoussé, l'auteur naturaliste renouvelle les enjeux toujours plus cliniquement, visitant les insidieux tréfonds de l’âme humaine en opérant de subtils glissements entre les situations. Son jusqu’au-boutisme lui vaut d’épouser une myriade de genres inattendus, de la chronique sociologique au surréalisme psychique, tout en empruntant à un registre profondément horrifique.
À l’instar de Camille, véritable unité concentrique autour duquel gravitent les ébats d’autrui, conservé toute sa jeunesse dans un état à mi-chemin entre vie et mort, les personnages oscillent, toujours rappelés par la spectrale omniprésence de la mort. Les passions sacrificielles sont des territoires qu’arpente rigoureusement la plume de Zola, qui saisit magnifiquement les émois et les distorsions de l’âme humaine. L’encapsulation des flux immatériels de la conscience s’accomplit avec une grâce splendide, crue et lyrique.
En filigrane du milieu superficiel où s’organisent les béatitudes égoïstes de chacun, s’intensifient progressivement les violents tourments, exacerbés par l’inexistence d’empathie interpersonnelle. Le deuil se décrit comme une suite d’attentions conventionnées plus que comme un passage existentiel. Au travers de l’amertume dégagée, Zola coud de brillantes broderies de mots et d’expressions qui traduisent la complexité des sentiments humains, l’ambiguïté inhérente aux inflexions de la volonté humaine. Il tisse une toile acerbe qui expose les hypocrisies de surface et les tromperies sous-tendues.
Le noyau narratif de Thérèse Raquin réside primordialement dans sa dissection de l’égoïsme, les va-et-vient psychologiques s’originant tous autour d’un égocentrisme parasité par l’intrusion inopinée d’un remords interne, insoupçonné des deux personnages. Ce remords agit telle une possession que s’évertuent, en vain, à exorciser le couple disloqué du Passage du Pont-Neuf. La première moitié du roman passée, l’action amorce une nouvelle mécanique narrative qui progresse par fulminations et éclats émotionnels, acheminant lentement les sillons autodestructeurs. Tandis que la tendresse délaisse peu à peu les fissures relationnelles qui s’agrandissent dans un mouvement inversement proportionnel, Zola redouble de précision et autopsie fragment par fragment la noirceur pétrifiée de la débâcle conjugale et psychologique. Douloureuse est l’approche qui observe opiniâtrement les souterrains humains; la maladive peinture montre des êtres qui se voient surpassés, engloutis par leurs pulsions intrinsèques qui jaillissent de l’oisiveté abêtie dans laquelle ils ont entretenu leurs vies.
Thérèse Raquin étale les comportements dérangés qui épanchent les détresses personnelles. Le mutisme existentiel, l’aveuglement et le désœuvrement consistent en des ancrages thématiques sur lesquels se superpose un chapelet de douleurs. Prégnant est l’effroi qui émane des trajectoires désarticulées. Manifeste est la beauté souffreteuse qui se profile dans les interstices de laideur. Thérèse Raquin est une œuvre conçue parallèlement aux natures humaines, elle mélange beau et laid sans pudeur, et reflète tristement la dualité des comportements humains, à la manière d’une fatalité à laquelle il faut se résoudre. Thérèse Raquin fut le premier pas de Zola au cœur des déchirures interpersonnelles et sociales; sa destination ne comportera à partir de ce roman plus d’autre enjeux que celui de retranscrire attentivement les paysages – externes comme internes – de l’humanité.
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Créée
le 1 mai 2022
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