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Épopée livresque (2022)

Livres lus par mois.

Janvier : 6
Février : 4
Mars : 0
Avril : 4
Mai : 2
Juin : 5
Juillet : 3
Août : 3
Septembre : 0
Octobre : 0
Novembre : 3
Décembre : 5

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36 livres

créee il y a plus de 2 ans · modifiée il y a plus d’un an

Une histoire du cinéma français (1950-1959)
8.9

Une histoire du cinéma français (1950-1959) (2021)

Sortie : 20 novembre 2021. Essai, Cinéma & télévision

livre de Philippe Pallin et Denis Zorgniotti

Émile Frève a mis 8/10.

Annotation :

Janvier

Toujours aussi adroit, le constat est aigu, précis, incisif; la contextualisation, fluide et logique; la recherche, vertigineuse; l'ode cinématographique, gorgée de passion, inspirée, enflammée, magistrale. Pour ne pas verser dans la redite (puisque j'avais déjà auparavant annoté le précédent tome et que si je poursuivais ma critique, je ne ferais que chuter dans le panégyrique ampoulé), je citerai Patrick Brion, rédacteur de la préface, qui termine admirablement son introduction par :

« Tout ceci prouve que la connaissance du cinéma n'est jamais figée, que "l'on ne sait pas tout", qu'il y a – heureusement – des dizaines de films à découvrir ou à revoir. Notre cinéma national méritait une nouvelle Histoire, documentée et originale, sans parti pris et novatrice.

C'est donc désormais chose faite. »

Pilote de guerre
7.1

Pilote de guerre (1942)

Flight to Arras

Sortie : 20 février 1942 (France). Roman

livre de Antoine de Saint-Exupéry

Émile Frève a mis 8/10.

Annotation :

Janvier

En premier lieu, c’est la forme qui prime; l’élégance des mots accordés, l’économie des formules, la précision de l’orchestration littéraire. Le langage se change en vastes étendues dominées par la plus fine, diaphane et cristalline des poésies. Entre pragmatisme raisonné et légèreté lyrique, le style, loin d’être échevelé, se densifie et se clarifie au fur et à mesure que surviennent les magnifiques collisions des portions contradictoires de l’humanité (toujours le sens du devoir opposé à la fragilité d’une vie). Puis, à la suite de l’adresse de la plume, surgit une discrète chronique initiatique, un somptueux pèlerinage spirituel dérivant lentement, à l’aide des distensions et ralentissements narratifs – véritables racines stylistiques de Saint-Exupéry –, vers les errances existentielles de l’auteur. Contemplation déréalisée, Pilote de guerre achemine ses réflexions autour d’une même poursuite; la quête du devenir. Devoir et appartenance à la collectivité sont les bases de l’existence humaine, les moyens de concrétiser une vie imprécise et chimérique – l’auteur développe à partir de ces deux concepts les esquisses de son humble existentialisme, témoignage de la sensibilité de celui-ci. Outre l’intériorité humaine abordée tel un paysage insondable, la délicate magnificence de Pilote de guerre se manifeste à travers l’étonnante description du monde de la guerre; une abstraction insensée prédomine, les actes illogiques pullulent et le même désœuvrement règne sur chaque visage. Plus véhément que dans de précédents ouvrages, Pilote de guerre est le splendide combat de Saint-Exupéry face à l’individualisme ségrégationniste de la Seconde Guerre, sa résistance personnelle, son éclat d’humanité qu’il oppose à la noirceur de son époque.

Fellini par Fellini
7.4

Fellini par Fellini (1976)

Entretiens avec Giovanni Grazzini

Federico Fellini Intervista sul cinema

Sortie : 1976 (France). Biographie, Entretien

livre de Federico Fellini

Émile Frève a mis 6/10.

Annotation :

Janvier

Maladroit, inadapté, volatile; voilà comment se découvre Fellini à travers ses élans erratiques d'absentéisme spirituel et d'esquives réfléchies. Indirectement, par le biais de sa fuite intellectuelle et des chemins anecdotiques empruntés, Fellini compose un autoportrait à l'image de son cinéma et, ultimement, un autoportrait mélancolique émouvant, entre imaginaire éclectique, émerveillement enfantin et esprit désenchanté.

Huis clos
7.7

Huis clos (1945)

Sortie : 1945 (France). Théâtre

livre de Jean-Paul Sartre

Émile Frève a mis 8/10.

Annotation :

Janvier

Tout un enchevêtrement complexe d’interactions et de jeux interpersonnels se file en un temps infiniment réduit dans Huis clos. Ce sont d’abord les rapports de domination qui unissent les trois personnages confinés en un même espace – ce qui s’apparente à une antichambre cérébrale, un terrain fertile pour les esprits inquiets d’un homme et de deux femmes – qui se découvrent et nourrissent les dérives scénaristiques; d’un côté, le besoin de confirmation masculine d’Estelle et son mépris des classes sociales inférieures, d’un autre, la nécessité de l’obtention d’un jugement objectif chez Garcin et sa misogynie à peine voilée, et d’un ultime point de vue, la soif homosexuelle d’Inès qu’alimente sa haine à l’égard des hommes. Le dialogue est rapide, incisif, tranchant, les non-dits creusent le malaise existentiel et l’aridité émotionnelle, et le constat sur une nature humaine effondrée s’effectue adroitement, manié puissamment par un dramaturge travaillant dans l’épure et la simplicité. Les sillons existentialistes de l’œuvre rejoignent en bout de ligne la conception sartrienne des échanges humains et de l’existence; ainsi, l’être humain se définit et définit son essence à travers le regard de l’autre, il n’est rien sans le jugement extérieur – l’absence de miroir est ainsi justifiée par la présence d’êtres humains, véritables miroirs psychiques (certains s’efforcent désespérément de s’y voir, tandis que d’autres refusent, par crainte d’y voir surgir leurs démons, le reflet présenté). L’humanité est enchaînée par ses propres forces, l’être humain se révèle tout à la fois bourreau et gardien de la raison. Catapulté dans un excès de déréliction, l’aphorisme « L’enfer c’est les Autres » semble alors être la synthèse la plus admirable du propos pétri durant le labyrinthe sentimental qu’est Huis clos. Et Sartre de clore, sans réponse sinon celle de l’éternelle continuation des gestes humains (pour oublier leur horrible condition, les personnages vont l’embrasser), sa noire fantaisie humaine.

Les Mouches
7.3

Les Mouches (1943)

Sortie : 3 juin 1943. Théâtre

livre de Jean-Paul Sartre

Émile Frève a mis 8/10.

Annotation :

Janvier

C’est ici le pays des mouches et de la servitude, là où rôde une humanité dominée par le remord, assujettie par l’invisible royaume des morts, où l’on cache aux êtres humains leur liberté de peur qu’ils ne se brûlent en l’usant trop mal. Narrativement régi par les balises thématiques et les progressions dramatiques de la tragédie antique, le récit des Mouches est profondément orienté – et son message, circonscrit – par les préoccupations existentialistes de Jean-Paul Sartre qui façonne un univers parabolique où se dresse un acide portrait de l’aveuglement existentiel sociétal. Les travers de l’humanité sont nombreux, la hideur est présente : veulerie, haine, misanthropie, repli sur soir, isolement. Ce sont des êtres gênés, écrasés par leur ivre et folle croyance en une divinité débonnaire, dont use Sartre afin d’assassiner définitivement, en adoptant une tonalité prophétique, l’image de Dieu. Se retrouve également exposé le paradoxe des destinées humaines qui, en dépit de leur érudition et de leur rationalité, succombent aux plus instinctives et déraisonnables pulsions parmi lesquelles la vengeance et le désespoir existentiel – qui explique l’obédience spirituelle et la sujétion de la cité. Faisant preuve d’un parfait maniement des offensives discursives ainsi que des tranchantes contre-attaques – « Tu leur montreras soudain leur existence, leur obscène et fade existence, qui leur est donnée pour rien. » –, Les Mouches, plus qu’une œuvre concentrique acheminant la philosophie sartrienne en un même endroit en se greffant à d’autres écrits de l’auteur (tels que Huis clos) –, est une constatation de l’inéluctable solitude de l’être humain libre, une histoire à propos de la désunion intérieure de l’humanité – séparée de ses compagnons depuis la découverte de sa liberté. Les Mouches clame la nécessité de la liberté humaine tout en insistant sur la dureté du chemin qui y mène.

François Truffaut, film par film
7.9

François Truffaut, film par film (2021)

Sortie : 14 octobre 2021. Beau livre, Cinéma & télévision, Dictionnaire

livre de Laurent Delmas et Christine Masson

Émile Frève a mis 8/10.

Annotation :

Janvier

Et voilà qu’on pare le porte-étendard de la Nouvelle Vague, catalyseur d’une jeunesse irrévérencieuse, d’un ouvrage à mi-chemin entre hagiographie romantique d’un personnage pittoresque et dissection analytique des motifs truffaldiens. Démarche qui, loin de sacraliser un cinéaste dont la réputation varie de génie artistique à barbant bourgeois infatué, s’astreint à soulever le mythe et à diagnostiquer, à travers les agglomérations de concepts, de manies et de thématiques, une œuvre discrète qui a su figer sur le grand écran la beauté des incohérences humaines. C’est empreints d’humilité que les auteurs accomplissent rigoureusement leur tâche relevant ultimement plus de l’analyse spirituelle que de la critique de longs métrages. En bout de ligne se dresse le parcours émouvant d’un auteur tourmenté, obsédé par ses passions, qui sera parvenu, au travers de ses répétitions cycliques de leitmotivs, à communiquer au spectateur le déchirant reflux des sentiments humains.

La Maison Tellier
7.5

La Maison Tellier (1881)

Sortie : 1881 (France). Recueil de nouvelles

livre de Guy de Maupassant

Émile Frève a mis 8/10.

Annotation :

Février

Toujours la même préoccupation obsède l'adroit novelliste qu'est Maupassant; ses œuvres sont des exercices visant à définir, à répertorier, à cartographier les mouvements invisibles qui lient les êtres humains, que ce soit à l'échelle collective, au travers de peintures sociales à l'acuité terrassante, à l'échelle interpersonnelle, avec des échanges émotionnels d'une rarissime élégance, ou à l'échelle individuelle, au cœur de portraits psychologiques qui parviennent à figer l'ardeur des sentiments consumés par leur incandescence. Il se mouvoit du général à l'intime de façon imperceptible, recourant à sa mélodieuse plume qui enflamme l'encre de sa savante précision syntaxique et grammaticale. L'apothéose stylistique est ici manifeste et accompagne, enjouée, la douceur des descriptions méthodiques de coutumes, d'habitudes et de rites sociétaux. Passée l'étude sociologique, c'est la truculente déconfiture des univers bâtis que savoure, guilleret, Maupassant, désagrégeant l'immobilisme des conditions ritualisées de ses personnages. Ultimement, les quelques récits qui composent La Maison Tellier tissent une immense fresque – toutefois loin d'être exhaustive – des bonheurs éphémères de l'existence humaine, ponctuée de déboires passagers et d'angoisses volatiles : une fois l'ouvrage achevé, les états d'âme distillés se confondent allègrement et rejaillit une suave mélancolie, point d'intersection de la tristesse et de la joie, qui parachève cette somptueuse chronique d'une humanité maladroite.

Novecento : Pianiste
7.8

Novecento : Pianiste (1994)

Un monologue

Novecento. Un Monologo

Sortie : 1997 (France). Théâtre, Voyage, Musique

livre de Alessandro Baricco

Émile Frève a mis 6/10.

Annotation :

Février

C'est quelque chose d'infiniment doux; une vision melliflue d'une existence fragile comme le verre. La poésie est tellement cristalline qu'on a peur de la rompre à trop l'arpenter. De cette vie absente, il n'y a que le voyage intérieur de tangible, celui qui s'affranchit des frontières du fini et proclame roi l'être qui habite ses songes. Magnifique.

Ma vie et mes films
7.3

Ma vie et mes films (2008)

Sortie : mai 2008. Autobiographie & mémoires

livre de Jean Renoir

Émile Frève a mis 9/10.

Annotation :

Février

Évidemment, une attente se crée lorsque le livre est acheté, emprunté, voire subtilisé. C’est même davantage que de l’attente, c’est une lassitude face à l’évidence de cette autobiographie qui présage déjà ce narcissisme fat qu’on espère déceler au cœur de ce récit. Mais il est bon de poursuivre au-delà des apparences. C’est en fait un dialogue entre l’auteur et le lecteur, énergique, dynamique et passionnant qui s’instaure. La lucidité perçante, intelligence également pragmatique et émotionnelle, illumine un texte émouvant, traversé par une longue et périlleuse expérience qui, loin de verser dans la condescendance, incite le lecteur à découvrir plus amplement la beauté protéiforme de l’art cinématographique. Une déclaration d’amour au septième art, oui, mais surtout une déclaration d’amour aux individus, à l’humanité, à la collectivité – comme en témoignent ces portraits touchants et sympathiques d’êtres humains ayant croisé la route de Renoir. Rien qu’une beauté effervescente, couronnée d’une postface en tout point brillante signée François Truffaut. Un adieu fascinant, édifiant, bouleversant. Ces derniers mots, déchirants, résonnent encore au plus profond de mon être : « Mon adieu au monde de mon enfance peut se formuler en deux mots : "Attends-moi, Gabrielle." »

Jean Gabin
6.5

Jean Gabin (2021)

Maintenant je sais

Sortie : 25 novembre 2021. Essai, Cinéma & télévision

livre de Sébastien Gimenez

Émile Frève a mis 7/10.

Annotation :

Février

Un léger parcours qui déconstruit chaleureusement l'opaque et labyrinthique mythologie lentement édifiée par cet icône indétrônable du septième art. Une incursion parfaite, bien que schématique, dans les tréfonds de cet homme qui devint peu à peu l'allégorie vivante des fluctuations sociopolitiques de la France au travers de ses différentes incarnations. Savoureux, humain, doté d'une prose simple mais vivante, Gimenez découvre une portion du mystère Gabin, impassible phare contemplant le remous du haut de son inaltérable grandeur. Un hommage mérité, loin de l'hagiographie, qui remet en perspective toutes les images qu'a arborées au courant de sa carrière Jean Gabin.

Frankenstein ou le Prométhée moderne
7.6

Frankenstein ou le Prométhée moderne (1818)

Frankenstein; or, The Modern Prometheus

Sortie : 1821 (France). Roman, Science-fiction, Fantasy

livre de Mary Shelley

Émile Frève a mis 7/10.

Annotation :

Avril

Cette plume qui ondoie et dessine les épreuves tourmentées de l'histoire mythifiée de Victor Frankenstein et de sa créature, c'est par la fertile et insoupçonnée imagination d'une jeune femme de 19 ans qu'elle s'agite voluptueusement. Ambivalent texte qui se balance entre fustigation d'une société récalcitrante à la différence et sublimation de la détresse esseulée, Frankenstein dispose une quantité phénoménale d'enjeux qui, quelques centaines d'années plus tard, occupent encore un rôle prépondérant dans les préoccupations sociales, morales et scientifiques. Les dérives d'un transhumanisme exacerbé et d'une soif narcissique de domination intellectuelle y sont les thématiques phares adroitement exposées par Mary Shelley. Douceur et tristesse, idéal et spleen : le roman est victime d'un manichéisme sentimental hérité des conceptions romantiques de l'existence humaine et émerveille par les visions de beauté qu'il convoque, sans cesse chevauchées par des tableaux d'atroce laideur (interne et externe). L'enchevêtrement touchant de ces oppositions complémentaires à la nature humaine conçoit une pesanteur gothique qui n'a eu de cesse, depuis la parution de l'oeuvre de Shelley, de féconder l'imaginaire littéraire et cinématographique.

La Tresse
6.7

La Tresse (2017)

Sortie : 10 mai 2017. Roman

livre de Laetitia Colombani

Émile Frève a mis 4/10.

Annotation :

Avril

Lecture scolaire imposée, sujet forcé, démarche emphatique, motifs stylistiques superficiellement poétiques, récit schématique et prévisible. Les mots butent à l'entrée de ma bouche de peur de dénigrer davantage ce roman qui n'a de bon que sa bienfaisance.

L’Ultima maniera - Le Giallo, un cinéma des passions

L’Ultima maniera - Le Giallo, un cinéma des passions (2021)

Sortie : 16 septembre 2021. Cinéma & télévision

livre de Alice Laguarda

Émile Frève a mis 8/10.

Annotation :

Avril

Les procédés analytiques auxquels recourt Alice Laguarda afin de disséquer le plus méticuleusement le corps stylistique et thématique du giallo s'apparentent à des vents qui soutiendraient l'appareillage du lecteur sur les mers cauchemardesques, fantasmatiques et schizophréniques du cinéma noir italien des années 1970. À l'opposé des méthodes de duplication, de déterritorialisation et de déchirement de la matérialité du réel que proposent les maîtres du giallo, l'autrice livre un rigoureux recensement des déformations langagières opérées par le maniérisme autarcique du genre. Ses intrications sont habilement démêlées, et son vertige explicité par une mise en relation sociohistorique adroite ainsi qu'une parallélisation d'oeuvres et de sujets connexes. On regrette peut-être sa densité théorique nécessitant une plus abondante exemplification, absente de l'ouvrage. Laguarda diagnostique toutefois brillamment les symptômes de ce genre qui exhibe les traumatismes et les affres inconscients de la population italienne dans une démarche non loin de l'exorcisation cathartique des souffrances refoulées.

Thérèse Raquin
7.1

Thérèse Raquin (1867)

Sortie : 1867 (France). Roman

livre de Émile Zola

Émile Frève a mis 8/10 et a écrit une critique.

Annotation :

Avril

Si les procédés méticuleux qu’emploie Émile Zola afin de diagnostiquer les maux invisibles d’une société trompeuse et fausse renvoient à un style de description naturaliste, Thérèse Raquin souffrirait d’être réduite à ce qualificatif qui exprime inexactement les qualités de cette œuvre dont l’aride immersion provoque un chamboulement envoûtant. Car comprendre la brutale poésie qu’éparpille Zola requiert un relâchement de la part du spectateur qui doit accepter le plongeon dans l’abyssal tumulte psychologique que promet l’œuvre. Thérèse Raquin étale les comportements dérangés qui épanchent les détresses personnelles. Le mutisme existentiel, l’aveuglement et le désœuvrement consistent en des ancrages thématiques sur lesquels se superpose un chapelet de douleurs. Prégnant est l’effroi qui émane des trajectoires désarticulées. Manifeste est la beauté souffreteuse qui se profile dans les interstices de laideur. Thérèse Raquin est une œuvre conçue parallèlement aux natures humaines, elle mélange beau et laid sans pudeur, et reflète tristement la dualité des comportements humains, à la manière d’une fatalité à laquelle il faut se résoudre. (Extrait de ma critique.)

Pour un avis plus étoffé, voir ma critique.

Les Âmes mortes
7.8

Les Âmes mortes (1842)

(Traduction Henri Mongault)

Myortvyje dushi

Sortie : 12 juillet 1973 (France). Roman

livre de Nicolas Gogol

Émile Frève a mis 7/10.

Annotation :

Mai

Transmises avec le souci réaliste et satirique qu'emploie Gogol afin de s'infiltrer dans les portraits maculés d'hypocrisie qui constituent la structure sociale et populaire de la Russie, les visions suscitées par Les Âmes mortes organisent un béant abîme où se répercute la déliquescence d'une époque, ses manigances, ses visages trompeurs et sa permanente iniquité. Récit progressant par rupture stylistique, entre la narration classique (qui met à mal les volontés intrinsèques de manipulation sous-tendues dans les interactions de personnages) et les discours de l'auteur adressés au spectateur, Les Âmes mortes consiste, par son caractère inachevé et troué, en une vibrante description de la torpeur et des turpitudes qui pullulent en Russie. Déchirée par des successions de traumas invisibles, l'âme russe est ici définitivement désacralisée, morcelée et enterrée; même la justice ne se reconnaît plus, égarée parmi des myriades de processus inaboutis et incohérents. Pas étonnant alors de voir se clore la narration sur des phrases vantant les mérites de la rectitude morale, phrases qui ne trouvent point de fin, comme si, curieusement, le sort avait voulu que persiste en Les Âmes mortes l'idée d'une prostitution complète de l'éthique et de la bonté humaine.

Dialogue sur l'art et la politique
6.7

Dialogue sur l'art et la politique (2021)

Sortie : 1 avril 2021. Entretien

livre de Ken Loach et Édouard Louis

Émile Frève a mis 6/10.

Annotation :

Mai

Discussion s'organisant autour de répliques et de commentaires enchevêtrés traduisant les rêves structurels des locuteurs, Dialogue sur l'art et la politique conçoit rapidement, en une soixantaine de pages transmettant succinctement les pensées complémentaires des deux intervenants, un tableau des débalancements politiques et idéologiques en Occident. Alimenté d'espérances légèrement déphasées de la réalité actuelle (elles dénotent un optimisme irréaliste), le dialogue possède la qualité de vulgariser souplement les concepts clés de la réflexion idéologique moderne. Adjoint de méditations sur le positionnement et le rôle de l'art au sein du débat social, cet efficace condensé assoit les bases du dialogue intersociétal ainsi que les fondamentaux de la parole interculturelle, affirmant comme bases de la conversation politique, l'ouverture des espaces communicationnels et le rééquilibre des défavorisations systémiques.

Charlotte
7.5

Charlotte (2014)

Sortie : 21 août 2014. Roman

livre de David Foenkinos

Émile Frève a mis 8/10.

Annotation :

Juin

Charlotte, c’est le secret d’une existence écoulée furtivement au creux des mélancolies passagères d’un monde défiguré par la haine. Tristesse qui se renouvelle au rythme des saisons, le climat que dégage Charlotte égoutte avec pudeur le désarroi de Charlotte Salomon, protagoniste mi-réelle mi-rêvée. Son auteur emmêle, avec la même discrétion dont fait preuve l’héroïne, les visions imaginées d’une vie anatomisée par un exercice de style concis et délicat, double introspection qui décline les affres de l’auteur, plaquées sur celle de sa muse narrative, la jeune Charlotte. Univers intimiste où seuls résonnent les échos du cœur de la protagoniste, l’espace narratif ouvre aux zones troubles d’une psychologie auréolée de malaises intergénérationnels. Portrait lyrique, Charlotte spécule sur les revers d’une âme que les conjonctures historiques ont réduite à une unique preuve artistique et une infinité de promesses artistiques à jamais étiolées. Avec une émouvante et élégante prose, l’auteur effeuille tendrement les pages de la vie de Charlotte Salomon, comme s’il feuilletait méticuleusement les périodes charnières d’une trajectoire humaine afin de redécouvrir les subtilités de sa propre existence. D’une exquise joliesse.

Rue des boutiques obscures
7.2

Rue des boutiques obscures (1978)

Sortie : 5 septembre 1978. Roman

livre de Patrick Modiano

Émile Frève a mis 8/10.

Annotation :

Juin

Mémoire qui vogue, s'égare, se ponctue de visions vagues et de coups d'oeil tardifs, le récit de Modiano plante avec une somptueuse langueur les détours kafakaïens d'une histoire qui, ne s'attardant pas vraiment aux mécaniques sociétales absurdes, observe la frivolité de la vie. Tendre amnésie, la poésie effeuillée de l'auteur, combinée au discret sens de l'ellipse qu'il découvre, fait de cette recherche identitaire une ensorcelante déambulation au coeur de réminiscences éparpillées. Éphémère et volatile, Rue des boutiques obscures rappelle la fragilité des existences humaines, sous-tendant à la perte de mémoire du noyau narratif la perte d'un monde et de ses pittoresques habitudes. C'est tout un monde que Modiano reconstitue méticuleusement, car les souvenirs humains sont aussi denses que Paris à la nuit tombée.

Un cinéma nommé désir

Un cinéma nommé désir

Kino i reszta świata

Sortie : mai 1986 (France). Autobiographie & mémoires, Cinéma & télévision

livre de Andrzej Wajda

Émile Frève a mis 5/10.

Annotation :

Juin

Il est franchement déplorable que Wajda, brillant cinéaste où l'image vaut le message, où l'aspect sociologique de l'œuvre se constitue prioritairement à l'aide de visions artistiques intelligentes, ne parvienne à la même maestria narrative sur le plan littéraire. Ouvrage décousu, autobiographie sous-tendue, Un cinéma nommé désir bafouille ses conseils, égrène les commentaires parfois pertinents mais fréquemment anodins, et franchit difficilement les limites du journal intime – terrains auxquels il ne saurait sans doute échapper si ce n'était de son expérience étoffée en tant que figure de proue du cinéma polonais. Texte qui ne brille ni par sa cohérence ni par sa prose, c'est sans entrain qu'on achève la lecture de ce livre, sorte de dialogue neurasthénique entre lecteur et auteur, qu'on oublie sitôt la dernière page rabattue.

Henri ou Henry

Henri ou Henry (2006)

Le roman de mon père

Sortie : août 2006. Roman

livre de Didier Decoin

Émile Frève a mis 8/10.

Annotation :

Juin

Quelle beauté qu'un livre qui, soutenu par une prose tout à la fois délicate, intelligente et presque lyrique, décharge par longues phrases empreintes d'amour l'admiration d'un enfant à l'endroit de son père! Calme, paisible, amoureux, le ton que Didier Decoin emploie se fait structure d'un hymne détaillé au nageur, aviateur, fourreur, journaliste, boxeur, scénariste, cinéaste et père que fut Henri Decoin. Magnifique devoir de respect filial qu'étale furtivement l'écrivain; on connaissait (trop peu) le brillant humaniste qui jouait de la caméra comme d'un filet qui capture la beauté humaine, il était temps de connaître cet homme touchant, curieux exemple d'une masculinité caractéristique du XXe siècle, et pourtant, par ses manies protéiformes, exception de tendresse et de candeur : être fragile et versatile, père et amant attachant et, bien sûr, éblouissant conteur, à l'image comme à l'écrit.

La Dame de pique
7.4

La Dame de pique (1834)

et Les Récits de feu Ivan Petrovitch Belkine

Pikovaïa dama

Sortie : 1834 (France). Recueil de nouvelles

livre de Alexandre Pouchkine

Émile Frève a mis 8/10.

Annotation :

Juin

Une langue fine, qui décline suavement et sobrement les gestes malaisés, les passions fugitives, les contrariétés passagères. Mondes absurdes, contemplations spleenétiques d'époques qui se chevauchent, La Dame de pique pleure des souvenirs étiolés, rivières de mots que Pouchkine descend souplement, une phrase à la fois, une tristesse à la fois. Un effeuillement poétique d'une précieuse grâce, qui croque prestement des états sentimentaux complexes. Et toujours cette impression d'une perte, d'un départ, d'un délitement qui accompagnerait les personnages dans leurs modulations identitaires.

Rue de la Sardine
8

Rue de la Sardine (1945)

Cannery Row

Sortie : septembre 2000 (France). Roman

livre de John Steinbeck

Émile Frève a mis 9/10.

Annotation :

Juillet

Suivant d’un œil désincarné les velléités déraisonnables qui jalonnent la Rue de la Sardine, Steinbeck perce à jour l’enchantement des désenchantés. Par une prose statique, majoritairement descriptive, il configure un microcosme complexe qui voit se côtoyer de petits mondes désaxés, détails d’un tableau social habilement déployé, où respire par tous les pores une effluve de tragédie quotidienne, genre si brillamment défini par l’auteur. Auréolé de ponctuations inattendues, fragments d’existence qui s’imbriquent (métaphoriquement ou non) dans la trame principale, le tout déroule un hymne puissant à la vie miséreuse, qui ne s’épargne aucun plaidoyer à l’endroit des démunis et ne s’évite aucune attaque envers les préceptes de l’american dream. Œuvre qui tempère la tristesse et surmonte la déception d’euphories passagères, Rue de la Sardine exploite merveilleusement sa construction narrative bigarrée, où jonchent les bifurcations inopinées, symptômes d’une société désarticulée peinant à reconstituer ses gouffres systémiques. Et Steinbeck de livrer un chef-d’œuvre intimiste, déclaration d’amour étrange et insaisissable aux incapables, aux marginaux, aux retraités de la société qui vivent d’errances en déconfitures, et se contentent de quelques mots, d’un peu de musique et de douteux élixirs pour faire du désordre de leurs existences une routine exceptionnellement suave. Somptueux.

Faire un film
8.4

Faire un film (1996)

Making Movies

Sortie : 5 mai 2016 (France). Beau livre & artbook, Cinéma & télévision

livre de Sidney Lumet

Émile Frève a mis 8/10.

Annotation :

Juillet

Ou l'art de conjuguer merveilleusement introspection dépouillée et lexique méticuleux; tout ça organisé, évidemment, autour d'une fascination viscérale pour le septième art.

Candide ou l'Optimisme
6.9

Candide ou l'Optimisme (1759)

Sortie : janvier 1759 (France). Conte, Roman, Philosophie

livre de Voltaire

Émile Frève a mis 9/10.

Annotation :

Juillet

Avec aisance, virtuosité qui se déploie dans les enchâssements narratifs fluidement tressés, Voltaire flirte voluptueusement avec les grands concepts de son époque et décape avec truculence les vertus occidentales dans ce qu'elles ont de plus hypocrites et d'absurdes. Une poignée de personnages allégoriques qui incarnent les pensées archétypales du monde croqué, un humour circonstanciel comme on en voit peu, puisant dans l'inopiné de véritables joyaux comiques, suffisent à Candide pour qu'il revisite, en un style condensé et porté à l'épure, les schémas de pensée et de domination occidentaux dans lesquels s'origine le grand biais inconscient du continent européen, que Voltaire désintègre avec tant d'irrévérence et qui consiste à penser que « tout est toujours au mieux ». Chapeau Voltaire.

Le Maître et Marguerite
8

Le Maître et Marguerite (1940)

(traduction de Claude Ligny)

Мастер и Маргарита

Sortie : 1968 (France). Roman

livre de Mikhaïl Boulgakov

Émile Frève a mis 9/10.

Annotation :

Août

Il faut du courage pour espérer saisir la grâce de l'œuvre somme de Boulgakov; protéiforme, l'approche créatrice de l'auteur enjambe une panoplie de styles et de genres hétéroclites qui s'entrecroisent, mêlés à un tango narratif incessant qui prend forme dès les premières pages. Catégoriser ce récit fleuve qui opère par éclatement de logique et discontinuités narratives reviendrait à en dissiper le sublime qui l'innerve. Sa prose diapre les mots de couleurs somptueuses, restitue par une incroyable précision stylistique les fluctuations de tonalité et les métamorphoses (internes et externes). Cependant que son architecture narrative laisse non seulement voir la plus dépaysante peinture de mœurs de la Russie au XXe siècle, en plus d'une diatribe acerbe qui enveloppe un autoportrait intime, fragmenté entre la désillusion et le spleen. Toile métaphorique, le roman traverse continuellement les frontières du réel – données historiques factuelles – et de la fantaisie, hybridant des analyses sociologiques aiguisées de relectures mythologiques non moins pertinentes. En définitive, Boulgakov conçoit une œuvre qui se lit comme un ensorcellement, chahuté par l'emprise du mal qui s'avère en bout de ligne libératrice. Car dans le mal réside le bien; et surtout – Boulgakov se montre à cet égard impitoyable –, dans l'apparence du bien réside assurément le mal.

D'une complexité foisonnante, le récit se solde de l'une des plus déchirantes histoires d'amour, entre bohème, déconfiture et abandon. Tout en simplicité; un roman qui malgré son ampleur conserve une humilité bouleversante.

3 minutes pour comprendre les 50 plus grands passages de la Bible

3 minutes pour comprendre les 50 plus grands passages de la Bible

Sortie : 11 octobre 2013 (France). Essai

livre de Russell Re Manning

Émile Frève a mis 6/10.

Annotation :

Août

Ouvrage purement liminaire dans ma compréhension globale de la théologie judéo-chrétienne. Entrée en jeu qui, bien que répétitive, délivre un tour d'horizon rigoureusement dressé.

Romy
6.7

Romy

Sortie : 14 avril 2011 (France). Essai

livre de Catherine Hermary-Vieille

Émile Frève a mis 6/10.

Annotation :

Août

Une incursion poétique et métaphysique qui vaut seulement pour la dense et inextricable matière qu'offre la vie de la très grande Romy Schneider. Une suremphase stylistique qui fait parfois grincer, essai pâle d'innerver la beauté de l'actrice par le truchement des mots. Parfois, la tentative fonctionne. Mais la biographie reste foncièrement oubliable; une honte pour un récit articulé autour de Romy Schneider, dont la splendeur et le brio sont immortels.

Luchino Visconti, les feux de la passion

Luchino Visconti, les feux de la passion

Biographie

livre de Laurence Schifano

Émile Frève a mis 8/10.

Annotation :

Novembre

Puissant.

Grâce et dénuement
7.6

Grâce et dénuement

Sortie : 2000 (France). Roman

livre de Alice Ferney

Émile Frève a mis 5/10.

Annotation :

Novembre

Architecture poétique inégale : le corps narratif ne s'émancipe jamais de la mise en scène exotique des pauvretés d'une altérité qu'on ne comprend pas.

Une journée d'Ivan Denissovitch
7.6

Une journée d'Ivan Denissovitch (1962)

(traduction Jean et Lucie Cathala)

Odin den' Ivana Denisovicha

Sortie : 1973 (France). Roman

livre de Alexandre Soljenitsyne

Émile Frève a mis 8/10.

Annotation :

Novembre

Le dénuement est mot d’ordre chez Soljenitsyne; sa chronique dessine dans une épure de mots, constelle dans les jointures de phrases laconiques sa transcription rêche des conjonctures du réel soviétique, et l’on ressent, sans fulgurances poétiques ou philosophiques, le salaire des humanités bafouées. L’économie du texte est un lyrisme qui décrit, mâtiné d’un vocabulaire argotique, la chorégraphie martiale que cadence l’indicible spectre du totalitarisme. La prose est de glace, résume la stase d’une société désynchronisée, où la désincarnation des choses et des désirs les plus fugaces répond de la dernière phase des dérives humaines. Pas de monstration directe ni de réquisitoire adressé explicitement à l’endroit du joug soviétique, seulement la scrupuleuse acuité d’un auteur qui maintient continuellement le narratif à hauteur du réel, dans cette mesure composite et abstraite où des nuées d’individus vivent, comme si l’horloge anticipant leur libération s’était départie de son tic-tac une bonne fois pour toutes.

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