Plus loin de toi, mon Dieu

Au XVIIe siècle, en Nouvelle-Angleterre, la famille de Katherine et William est exclue de sa communauté pour son dogmatisme (c’est dire !). Le pater familias achète alors une petite ferme au milieu de nulle part, là où la famille sera libre de pratiquer sa foi. Cependant, la vie est dure : les récoltes sont mauvaises, la disette guette… Mais lorsque le petit dernier de la famille, le bébé Samuel, disparaît mystérieusement, les véritables ennuis commencent. Un mal insidieux semble habiter les alentours de leur nouveau foyer…

The Witch, c’est d’abord une ambiance, celle d’une terre encore sauvage et mal connue (l’Amérique du Nord). Une terre où la nature est encore indomptée, parfois impitoyable. C’est aussi l’atmosphère du puritanisme — plus proche de la mythologie qui s’est formée autour du mot que de la réalité historique de ce courant religieux. Sous un ciel de spleen, à la lueur des bougies, encerclées par une forêt sinistre, seules les prières apeurées brisent les silences pesants. Dans cette vision froide et austère de la religion, la trace de Dieu est partout, et par effet miroir, celle du Diable suit de près... La chaleur n’est guère que dans quelques scènes, et laissera vite place à la douleur. Le ton est donné !

L’influence démoniaque, superbement incarnée par un Black Phillip devenu culte, grandit à mesure des petites haines qui vont miner cette famille jusqu’à la désagréger : le sentiment de culpabilité de Thomassin, la rancœur de sa mère qui lui en veut pour Samuel, qui en veut à son mari d’avoir vendu un de ses objets de valeur, la solidarité presque suspecte des petits jumeaux, compagnons de ce bouc infâme… Avec le fil d’une ambiance lourde, le film tisse avec beaucoup de finesse une œuvre malsaine à la violence tout autant filmique que symbolique, très théâtralisée dans quelques scènes-choc, portée par de bons acteur crédibles de bout en bout. Jusqu’au final surréaliste, la séduction de Thomassin par la Bête, qui ira rejoindre, nue et extatique, la communauté de sorcières pourtant responsable de la mort de toute sa famille.

Au-delà de sa réalisation remarquable, The Witch possède plusieurs niveaux de lecture, tellement qu'il serait trop long de tout détailler : critique de l’austérité religieuse et des cœurs secs qu’elle engendre, drame psychologique sur les conflits familiaux (tellement d’actualité à notre époque de familles dysfonctionnelles), regard classique sur la puissance et les secrets de la Nature, parfois obscurs (la figure du païen et du sorcier se confondent souvent) ; on flirte presque avec le conte (les parents pauvres qui projettent de se débarrasser de Thomassin). D’aucuns y ont même vu un film féministe (après tout, la jeune Thomassin s’y débarrasse du patriarcat !)…

La réussite d’Eggers est double : avoir débarqué sur le créneau très embouteillé de l’horreur magico-démoniaque pour ressortir avec un bon film doté d’un vrai fond, et avoir en plus marqué le genre de son style très travaillé mais authentiquement sombre, grinçant et dérangeant à souhait. Une superbe réussite !