Tout aura donc commencé avec Sous le plus grand chapiteau du monde de Cecil B. DeMille. Et surtout avec la célèbre séquence du déraillement de train que le petit Sammy, 6 ans, découvre impressionné dans ce cinéma où ses parents l’ont amené pour la première fois. Et qu’il rejouera ensuite, inlassablement, avec un train électrique. Plus tard ce sera L’homme qui tua Liberty Valance de John Ford, l’un des réalisateurs qui aura sur lui une grande influence cinématographique, dont il s’amusera à recréer l’attaque de la diligence. Sammy, c’est évidemment Steven Spielberg, car The Fabelmans raconte Spielberg. Le Spielberg intime (une enfance heureuse puis une adolescence, voire une œuvre, marquée par le divorce de ses parents) et le Spielberg pour qui le cinéma est tout, et qui deviendra le géant que l’on sait.

Le récit, écrit par Spielberg et Tony Kushner, sait évoquer le lent délitement de sa famille (personnalités différentes du père et de la mère, lui informaticien et pragmatique, elle musicienne et fantasque, nombreux déménagements, adultère…) en rapport direct, en collision même, avec son amour du cinéma. Collision qui trouvera sa parfaite illustration lors de cette scène préfigurant Blow-up (et que Spielberg a réellement vécue) où Sammy constate, en montant un film de vacances, la liaison entre sa mère et le meilleur ami de son père. "Le cinéma, c’est mieux que la vie", a dit François Truffaut. Chez Spielberg, c’est davantage le cinéma comme miroir, comme matière inextricable et malléable de la (sa) vie.

Spielberg qui se révèle, se livre et célèbre la magie du septième art, on dit oui évidemment, on dit mille fois oui. Pourtant The Fabelmans ne parviendra jamais à dépasser ses bonnes intentions tant, en vérité, il souffre d’un didactisme dont le film est bien incapable de se débarrasser tout au long de ses deux heures et demie, et qui rend le tout terriblement banal dans sa narration et ses diverses situations. Comme si Spielberg butait tout à coup contre la représentation de sa propre jeunesse, y perdant assurément son talent de conteur hors pair. Et puis quelle énorme erreur de casting (Gabriel LaBelle, au charisme et à la présence proches du néant), et quelle désastreuse direction d’acteurs aussi (ou plutôt d’actrice, puisque ça vaut principalement pour Michelle Williams qui surjoue la fantaisie en enchaînant d’exaspérantes mimiques).

Petite récompense à la fin tout de même, un peu comme si Spielberg nous remerciait (ou cherchait à se faire pardonner) : l’apparition surprise et savoureuse, un énorme cigare à la bouche, de David Lynch en John Ford offrant une courte leçon de mise en scène à Sammy (comment cadrer la ligne d’horizon dans un plan). Du coup, on se dit qu’à la place d’un long-métrage pas désagréable mais dispensable, Spielberg aurait dû se filmer avec Lynch évoquant leur enfance, discutant de leurs inspirations et de leur conception du cinéma (mais ça, Lynch l’a déjà fait dans The art life) pendant des heures. Là c’était gagnant-gagnant. Là ça vendait un peu plus de rêve.

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mymp
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le 20 févr. 2023

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