Si l'on a l'habitude de voir un cinéma de Steven Spielberg très académique et qui ne sort pas des bornes qu'il s'impose naturellement et qui donne tout son charme aux projets du réalisateur, on sera ici agréablement surpris de le voir réaliser un film dans lequel le plaisir du cinéma se ressent avant tout. On comprendra bien vite qu'il s'agit presque ici de son fameux "projet testament", un ultime effort et un hommage à une vie de rêves éveillés...


C'est la première grande force du film. Emerveiller les rêveurs. Car on comprend instantanément que le cinéma selon Sammy Fabelmans, et par extension Steven Spielberg, est celui de l'imaginaire, où tout ce dont on rêve le soir dans son lit peut se transformer en un film magnifique. Le jeune Sammy, émerveillé devant le train de The Greatest Show on Earth, deviendra vite obsédé à l'idée de reproduire la scène qui le fait tant rêver, et en l'occurrence cauchemarder. Le rêve que vit le personnage à chaque utilisation de la caméra reprend cette même idée. Il s'agit avant tout de se faire rêver, et de faire rêver les autres. De cet émerveillement arrivera la satisfaction du travail accompli, et la sensation d'avoir fait rêver les siens.


Mais le film n'est pas qu'une apologie du rêve par le cinéma, il dit au contraire bien plus que cela. Dans le cadre de la vie de Sammy, il est aussi un message fort envers les rêveurs. Croire en ses rêves et s'y accrocher, c'est par là ce que souhaite montrer Spielberg dans The Fabelmans. Car envers et contre tous, Sammy s'accrochera à son rêve, et même lorsqu'il quittera sa caméra pour quelques mois, il restera bercé par les illusions d'un rêve qui lui appartient. Cependant, et l'opposition avec le père le montre clairement, les illusions ne sont pas nécessairement à prendre dans un sens péjoratif. Au contraire, elles baignent ici dans l'imagination du créateur, et lui seul leur donne forme comme il l'entend, par le pouvoir de son cadrage et de ses plans. L'illusion est ici à prendre dans une définition telle que Rousseau se la décrivait. L'imagination est constitutive d'un bonheur préexistant, mais qui n'est atteint que par l'imagination de ses propres désirs. C'est précisément ce que fait le jeune Fabelmans avec sa caméra, projeter sur un écran blanc les désirs profonds de ses spectateurs ébahis. Le désir d'évasion, celui d'aventure, d'action, et par extension, Spielberg ferme le cercle du désir en projetant dans toutes les salles du monde son désir de cinéma...


Cet hommage n'aura bien sûr échappé à personne, mais à l'inverse de ce qu'a pu faire Damien Chazelle avec le très récent Babylon, Spielberg utilise le recul nécessaire qu'il possède pour en faire une autobiographie à peine voilée, qui prend inspiration dans le moindre détail de sa vie passée. C'est cela qui impressionne tant chez Sam Fabelmans, tout comme chez Spielberg et chez les artistes en général. Véritables machines à créer, ils ne sont cependant rien sans l'influence extérieure, qu'elle soit de milieu, d'acteurs ou d'actes. Le réalisateur va ainsi venir piocher des détails dans le moindre acte réalisé dans sa sphère proche et dans sa vie, tout comme le fera Spielberg dans ce film. Encore une fois, la boucle est bouclée, et le rapport fort qu'entretient la création de ce film avec le processus créatif de Sam Fabelmans impressionne. La façon dont arrive l'inspiration aux mains du personnage est relatée à la perfection, et les différentes références aux films de Spielberg n'auront échappé à personne (bien que, j'en suis sûr, nous en ayons tous manqué de nombreuses également).


Cette arrivée de détails qui vont nourrir l'imagination sans limites du cinéaste s'accompagne évidemment d'un processus de création que l'on connaît si bien à Spielberg. Trucages, effets visuels par des inventions qui donnent l'illusion parfaite à l'écran, c'est ça aussi, la grande faculté du cinéma, et l'épanouissement de Sam dans le film. Enjoué par les sourires qu'il pose sur les lèvres des spectateurs, il prendra comme de petites victoires les cris de peur ou d'admiration face à des coups de feu si bien imités à l'écran. Donner vie à son projet, c'est donc tout le but de l'artiste qui va sans cesse rechercher de meilleurs moyens pour mettre en forme ce qu'il avait imaginé depuis le début, et ce parfois au détriment d'une vie qu'on semble tracer pour lui...


De là part l'aspect familial qui représente certainement le plus gros du film. Une fresque décrite sur plusieurs années, et une chute qui représente les aléas d'une vie qu'il faut mener malgré ses problèmes divers. Ici rentrent en jeu des personnages tous pertinents. Un père, incompréhensif face à ce qu'il considère comme un "hobby", lui qui est si éloigné de ce qui ne touche pas au définitif, à la réponse seule et unique et non au bricolage imprécis. Une mère qui elle comprend, un archétype d'une âme sans cesse tourmentée par le désir de création, mais aussi une description très précise de la façon dont l'art peut vous faire chavirer. Des sœurs si attachantes à l'évolution intéressante, bien que leur temps à l'écran ne soit malheureusement pas assez important malgré les quelques scènes si marquantes passées avec elles. Une famille aux origines difficilement dissimulables aux yeux de tous, et qui fait subir à notre cher personnage principal des discriminations étrangement réelles bien que complètement stéréotypées. Du déjà vu bien réel ici, tout comme la vision manichéenne du lycée où sportifs sont les bad guys et où le jeune arrivé est maltraité. Malgré cela, on observera l'arrivée d'une découverte, celle des relations davantage sentimentales, et celle d'un modèle typiquement américain que Spielberg semble complètement tourner à la dérision. Une impression familiale forte donc, qui va établir des séparations et une forte dualité, mais encore et toujours inspirer l'artiste dans sa quête de vérité et d'illusions, et lui faire découvrir le pouvoir de son art.


Celui-ci réside dans la capacité à souder les foules, et celle de les détruire également. Par son film de fin d'année, Sam découvrira le pouvoir qu'il possède, à savoir celui d'émouvoir dans tous les sens du terme. Faire comprendre à son martyr à quel point il est faible, et lui faire admettre une part énorme de sensibilité à travers une vision méliorative de son être. Peut être ici une pointe d'amertume ou une vision des critiques de Spielberg, qu'il semble dénoncer en montrant que ses choix ont toujours une signification importante.


Dernier point nécessaire à aborder: le film en lui même. Spielberg réalise à la perfection un projet dans lequel on le sent épanoui du début à la fin, et dirige des acteurs avec une telle virtuosité qu'on ne peut que s'agenouiller devant son talent. A l'image de Sam dans la scène d'Escape To Nowhere, il semble mener les différentes interprétations dans un chemin qu'il a lui même tracé vers un ultime au revoir. Paul Dano est merveilleux, tant son rôle est difficile à cerner. Une absence constante mais une présence rassurante, et une sensibilité exceptionnelle pour certainement le meilleur rôle du film (où est la nomination???). Michelle Williams est aussi magnifique et envoûtante bien que dans un rôle un peu caricatural. Gabriel La Belle est la révélation qui tient la barque à la perfection et incarne sûrement un "mini" Spielberg plus que convaincant.


The Fabelmans est donc, comme son nom l'indique, et la définition littéraire de Google "un récit de fiction exprimant une vérité générale". La vérité est ici signée Spielberg, pour ce qui est sans conteste son film le plus personnel et l'un des plus aboutis, et une lettre ouverte à l'amour, à l'art, et bien davantage au septième du nom. Mais avant d'y voir un hommage au cinéma, je ressens ici surtout une fantastique invitation à l'illusion, et un message de soutien et d'encouragement à tous les rêveurs...

Créée

le 2 mars 2023

Critique lue 11 fois

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Alban Peyrot

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