Elephant ou la création d'une tragédie

Deux jeunes sanguinaires à la poursuite d'un but qui les dépasse et qui fait chavirer une institution, le témoignage d'un profond malaise social ou la subjectivité des évènements, c'est tout cela que met en avant Elephant et qui aujourd'hui, séduit par sa dimension tragique et la création d'une tragédie déjà bien en place depuis le départ.


Car c'est dès le début du film que la lenteur des évènements va faire comprendre au spectateur qu'il faudra attendre la fin du film pour qu'une action réelle se passe. Succession d'anecdotes d'un bahut et d'actions secondaires, l'alternance des points de vue donne une vision d'ensemble et propose une immersion dans le lycée au tragique destin. Car c'est véritablement d'une tragédie classique dont il s'agit ici. A la fois dans le respect de normes du genre : une unité de lieu qui renferme le film dans un huit clos presque total ; une unité d'action et de temps, tout se déroulant sur une seule journée, mis de côté les flashs backs explicatifs et l'action finale étant unique et planifiée depuis le début, avant même que la vision du spectateur ne vienne s'immiscer dans la sphère privée et dans les relations entre différents acteurs.

Toujours montrées par cette alternance de points de vue, celles-ci forgent un rythme lent et tendu au film, qui contribue à lui donner successivement un aspect repoussant, puis de plus en plus intriguant, pour finir sur un rythme de thriller. Le concept, il faut le dire, absolument génial, de superposer une même scène vue par différentes personnes et donc avec une subjectivité donne toute sa profondeur au film. Ici, on démontre que chacun est motivé par des causes extérieures à l'autre, et cette mise en parallèle constante apporte de la pertinence à un récit qui peut se perdre dans son propos.


La non linéarité du film n'aura échappé à personne, et aurait pu être bien plus dommageable dans le cadre d'un film plus long. Si bien sûr la courte longueur du film permet un gain d'attention chez le spectateur, l'écriture ne semble pas réellement savoir discerner les moments forts des moments plus faibles, tous décrits et explicités de façon similaire. Un même traitement pour des actions inégales, cela implique bien sûr quelques incohérences, mises en avant ici par des inconcordances de temps. Ce problème, restant tout à fait mineur, n'enlève rien au message profond du projet.


La critique d'une institution, dénigrée à tout instant, mais aussi d'une société et d'une façon de faire, semblent être la pierre angulaire du film. La tuerie perpétrée témoigne du profond malaise social que subissent de nombreux élèves adolescents, et la façon dont les boulettes à répétition peuvent se transformer en missiles bien réels. Et finalement, c'est le personnage le plus proche et le plus à même de comprendre les tueurs (Michelle) qui est massacré le premier. D'une cruauté implacable, mais c'est aussi tout ce que le film veut pointer du doigt, tant que l'on est pas immergé dans son point de vue, il est impossible de connaître véritablement quelqu'un, ni de savoir comment et pourquoi il est ici. A travers cette vision, Gus Van Sant réalise une intéressante refléxion sur les raisons d'une présence à un endroit donné et à un instant T. Une belle vision de la progression des personnages dans un univers commun mais qui peut chavirer à tout instant.


Bien que la chute finale semble caricaturale, elle vient mettre un point d'orgue au tragique développé tout au long du film. Celui-ci reste une expérience inédite et parfaitement desservie par des procédés techniques maîtrisés à la perfection, et qui questionne sur les différents chemins à prendre pour s'accrocher à la vie.

Stewart-Bates
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le 17 nov. 2022

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Alban Peyrot

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