Alors que le nom du Terminator est désormais associé à une saga principalement catastrophique, ne cessant de recycler un motif en l’affadissant pour correspondre aux goûts du jour et à la frilosité spéculative des studios, le retour aux sources permet de mesurer bien des évolutions dans l’histoire du blockbuster. Ce premier succès pour Cameron initie un règne colossal sur les grands films d’action à venir, mais débute sous les ors d’un cinéma qui emprunte davantage à la décennie précédente qu’au futur qu’il ne cesse de donner à voir.


Il règne une atmosphère de quasi série B dans toute cette exposition d’un récit qui se résumera finalement surtout à une alternance entre des courses poursuites et des assauts, empruntant au cinéma de Carpenter (Assaut, justement) dans ce regard sans fard sur une ville crasseuse, un commissariat lugubre et un défilé de personnages secondaires tous voués à tomber face à l’invincible cyborg. A la différence du second volet, et de toute sa descendance, Terminator est un film qui lorgne plus du côté du film d’horreur un peu méchant que du blockbuster épique. Le budget moyen explique évidemment beaucoup, mais la tonalité générale, plutôt pessimiste, infuse de manière durable ce qui fera le caractère badass et désespéré de la Sarah Connor du deuxième volet. Schwarzenegger, en homme machine, rend tout à fait prégnant cet effroi glacial d’un futur dénué de toute humanité, que ce soit dans ce regard panoptique sur une ville nocturne ou les différentes scènes gore qui jouent de cette fascination pour la cohabitation entre la chair et l’acier, jusqu’à cette dissection oculaire qui renouvelle avec malice celle du Chien andalou de Buñuel.


Bien entendu, le temps passe aussi sur une certaine esthétique (la BO, terriblement 80’s), des coiffures ou des performances du casting qui ne sont pas toujours très heureuses. Mais elles sont compensées par un rythme soutenu qui, sans avoir encore la fébrilité des productions à venir, sait mettre en place une certaine résignation face à une toute puissance mécanique et l’annonce d’un futur funeste qui décape l’imagerie merveilleuse que Star Wars vient de mettre en place. Le travail sur les effets spéciaux est en cela révélateur : si le spectaculaire est bien de la partie, les défis visuels sont systématiquement au service d’un récit, et ne constituent pas une fin en soit, comme cela deviendra la norme par la suite, générant une véritable présence pour cette machine superbement designée, qui, certes très saccadée dans les séquences en stop motion, tient toute ses promesses dans les plans rapprochés.


C’est enfin dans la richesse symbolique du film que ce premier volet révèle un véritable cinéaste à la barre. La thématique des machines infuse la majorité des séquences, permettant de regarder d’un œil suspicieux leur règne déjà en vigueur dans les années 80, qui glorifient inconsciemment leur règne : on le voit dans le ballet de pelleteuses au départ, le walk-man comme extension du crane de la colocataire, le message sur le répondeur par Sarah (« It’s a machine, but machines need love ») ou le bar dans lequel le Terminator fait un massacre devant la belle inscription lumineuse TECH NOIR. Les outils même qui permettent le progrès sont en sommeil avant leur éveil. Et même s’ils permettront de mettre fin au règne la machine du futur, dans un huis-clos final assez fantastique faisant littéralement entrer Sarah dans les entrailles de métal qui lui sauveront l’existence pour la faire renaître sous forme de soldat, la thématique est posée : Cameron a trouvé le nerf directeur de tout son cinéma à venir, logé au cœur même de la définition du blockbuster : conjuguer tous les efforts créatifs au service d’une splendide et totale destruction.

Sergent_Pepper

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