Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté.


Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous.
- D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord de principe de Liam Neeson.
- Nan, là je parlais de Jason.
- Ah. Donc Le Transporteur. Quand tu parlais du 4, je croyais qu’on était sur Taken.
- Nan. Tiens, prends la tartiflette, elle est bonne, ici.
- D’accord, Luc.
- Et puis je suis tombé sur The Sentinel, hier soir. Tu te souviens de ce truc ? Du coup j’ai un projet perso.
- Une réal ?
- Ouais. Merde, ça déborde. Mlle, donnez-moi une autre assiette, s’il vous plait. Un truc philosophique.
- …
- T’as oublié ton entrée. La salade de pomme de terre est excellente.
- Merci, je crois que j’en ai assez, là.
- Ouais, un truc sur l’humain, quoi. Son potentiel, tu vois. Une héroïne avec des habilités particulières.
- Une mutante ?
- Genre. Mais avec tous les pouvoirs. Un truc de fou, jamais vu. Télékinésie, radiographie par les mains, métamorphe, voyage dans le temps et la matière, big-bang. Attends, j’ai noté des trucs sur la nappe là-bas tout à l’heure, à la pause viennoiseries.
- C’est ambitieux, Luc. J’adore.
- Voilà, regarde, c’est écrit là.
- « Stars. Intelligence. Poursuites. Gunfights. Fin de ouf ». Ouais, vraiment, ambitieux.
- On tourne la semaine prochaine, j’ai un noir et une blonde. Tu finis pas tes frites ?


12 semaines plus tard. Réunion de débriefing.


Bon, les gars, le boss a tourné, et on doit se démerder maintenant.
- Voyons le bon côté des choses : on a de quoi faire une bande-annonce.
- Le problème, c’est que son film dure 1h00. Et qu’il veut pas tourner davantage. Il a déjà rajouté le bisou de Scarlett quand on lui a demandé des sentiments, il ira pas plus loin.
- On fait quoi, putain ?
- Je lui ai demandé. Il m’a dit d’ajouter des animaux.
- Des animaux. Il t’a dit d’ajouter DES ANIMAUX.
- Ouais, des illustrations. Il a dit que ça souligne l’ambition philosophique. Il veut du cosmos, aussi. On est donc allé pomper chez Disney Nature, Yann Arthus-Bertrand et les docs de la Géode.
- Mais on a pas assez. On a foutu un peu partout, même des rhinos et des grenouilles qui copulent, mais on est à 1h10.
- Je l’appelle. « Luc ? C’est Bryan Feneck. Ouais, toujours la durée. Qu’est-ce qu’on…Ah ? Sur ? D’accord Luc. Bien Luc. Je leur dis, Luc. »
- Alors ?
- Il m’a dit de mettre n’importe quoi.
- … Tu peux préciser ?
- Il a dit, je cite « des villes en time lapse, des embouteillages, des rubik’s cube, des machines à laver » La fin j’ai pas compris, il avait la bouche pleine.
- Allez, au boulot, putain !


8 semaines plus tard. Débriefing des screentests.


Bon. Luc est content.
- …
- Stanley, tu prends donc en charge le dossier de presse. N’oublie pas, on est dans une approche à la 2001. Tree of Life, tout ça.
- Ouais, et Jurassic Park, et Le Blob. Ecoute, Bryan, ça va pas être possible.
- Qu’est-ce que tu me racontes ?
- Je démissionne. Je peux pas. Je vous le dis entre nous, j’ai jamais vu une telle merde.
- On te demande pas ton avis non plus, ducon. Le public de Besson a le mérite de n’utiliser que 4% de son cerveau, c’est là que c’est malin.
- Là c’est trop.
- Il a raison, Bryan.
- Ta gueule, toi. T’as déjà de la chance que Luc t’ait pas entendu rire pendant la scène du coup de fil de Lucy à sa mère !
- Mais putain, elle parlait du goût de son lait, bordel !!!
- Ta gueule, j’ai dit. Bon, Stan, tu te ressaisis ?
- C’est non négociable. J’ai eu une révélation, putain. Des merdes, j’en ai vendues depuis que je bosse ici, mais là, c’était même plus de l’indignation, mais du désespoir. C’était cathartique. Putain, y’a aucun rythme, il nous a souillé Min-sik Choi & Scarlett est encore plus laide que dans Don Jon !
- Et tu te souviens des mecs qui pendent au plafond ?
- Et, les pouces qui s’illuminent !
- Et quand elle se transforme en Akira !
- Putain mais fermez-la, merde !
- Et la clé usb qui scintille, quand même… J’arrête, chef, promis.
- Stanley, tu nous fous dans la merde.
- Je suis réglo, tu me connais, j’ai cherché un plan B pour la promo. J’ai trouvé un jeune dans la salle qui pourra faire l’affaire.
- Un amateur ? Putain, mais…
- C’est l’avenir, mec. Ecoute ce qu’il disait en sortant : « Arrivé à la fin du film, j’ai senti un truc sur ma joue, je me suis demandé ce que c’était, et je me suis rendu compte que j’étais en train de pleurer… »
- Ouais, ben nous aussi, hein…
- Nan ta gueule, écoute : « pleurer d’ADMIRATION ».
- Ok, tu l’embauches. Putain, je crois qu’on va peut-être quand même cartonner.


http://www.senscritique.com/liste/Les_arcanes_du_blockbuster/369869

Sergent_Pepper
1
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Blockbuster, Science Fiction, J'ai pas d'alibi : j'ai honte, Les arcanes du blockbuster et Vus en 2014

Créée

le 6 déc. 2014

Critique lue 23.1K fois

764 j'aime

103 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 23.1K fois

764
103

D'autres avis sur Lucy

Lucy
Gothic
2

Tebé or not tebé

Nuit. Tisane terminée. Film terminé. Gothic ôte son casque à cornes pour s'essuyer la joue tant il pleure d’admiration. Nomé(nale) quant à elle s'empresse de fuir pour cacher ses larmes de...

le 7 déc. 2014

275 j'aime

53

Lucy
Before-Sunrise
5

Oui-Oui apprend sa SVT

Luc Besson entre gentiment dans l’adolescence. A vue de nez, il a 13 ans. Ses cours de Science de la Vie et de la Terre l’intéressent beaucoup. Il y a quelques temps, il s’est mis à faire des...

le 8 août 2014

262 j'aime

90

Lucy
Citizen-Ced
1

Halucynant

Lucy est un film qui mérite d'être défendu. Parfaitement. Parce que mélanger The Tree of Life, Samsara, 2001 l'odyssée de l'espace et Taxi, c'est d'une ambition qui frôle l'inconscience. Lucy mérite...

le 23 oct. 2014

224 j'aime

37

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

764 j'aime

103

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

698 j'aime

49

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

612 j'aime

53