On m’a dit un jour que j’avais un problème avec Paul William Scott Anderson. C’est faux, je n’ai absolument aucun problème avec ce réalisateur puisque je ne le connais pas personnellement. Loin de moi l’idée de tirer bêtement sur l’ambulance mais je dois avouer que ce type me fascine au moins autant qu’Ed Wood. J’aimerais tant connaitre le bonhomme, savoir ce qu’il a en tête quand il écrit un scénario. Pourquoi la plupart de ses films semblent-ils avoir été écrits par un adolescent ? Pourquoi tient-il tant que ça à mettre en avant sa femme ? Et surtout, comment fait-il pour manquer autant d’imagination et de bon sens ? J’aime bien son Event Horizon par exemple, son seul bon film à mon humble avis. Le seul où il a essayé de faire un vrai film d’horreur sans avoir peur de se heurter à la censure (bien que le film ait ensuite été massacré au montage et perdu une quarantaine de minutes des plus sanglantes). Le reste de sa filmo est un alignement de purges stylistiques et scénaristiques dont certaines ont nivelé vers le bas les trois grandes franchises horrifiques que sont Alien, Predator et Resident Evil, en plus de dégueulasser un grand classique de la littérature française.
Intéressons-nous ici au cas
Resident Evil.


Après le bide cinglant de leur Street Fighter : L’Ultime Combat, les dirigeants de Capcom ont hésité longtemps avant de (co)produire une autre adaptation d’un de leurs jeux à succès. Le survival horror étant alors à la mode depuis le carton de Resident Evil (le terme de survival horror ayant d’ailleurs été créé pour ce jeu), c’est finalement la société allemande Constantin Films qui acheta les droits d’adaptation de la série de jeux issue du même titre. Un premier scénariste, Alan McElroy (Halloween 4, Rapid Fire), fut engagé pour écrire un traitement censé être plutôt fidèle à l’histoire du premier jeu vidéo mais qui pourtant déplut aux pontes de Constantin Films et de Capcom.


Au tout début des années 2000, la place de scénariste et de réalisateur restait à prendre. Et quel cinéaste semblait être alors le plus à même d’adapter une série de jeux vidéos centrée sur une apocalypse zombie si ce n’était le créateur du genre lui-même, George A. Romero ? En partenariat avec Constantin Films, Sony et Capcom proposèrent donc à l’auteur de La Nuit des mort-vivants d’adapter à sa sauce le jeu vidéo, d’en écrire puis possiblement d’en réaliser le film. Le cinéaste accepta et se mit aussitôt au travail, buchant plusieurs mois sur l’écriture et le développement d’un film qu’il envisageait aussi sombre et gore que possible, afin de rendre justice à l’ambiance des deux premiers jeux. Connaissant la propension du bonhomme à disserter sur les aspects socio-politiques de l’époque à travers ses films de zombies, son Resident Evil aurait d’ailleurs pu promettre un sacré sous-texte (peut-être sur les dérives et la course au profit de l’industrie pharmaceutique ?). A l’époque en tout cas, la nouvelle avait fait le tour des magasines et les fans du jeu trépignaient d’impatience. Imaginez donc : « Romero réalisera l’adaptation du jeu Resident Evil au cinéma« . Mais les cinq traitements proposés par Romero ne furent pas à la hauteur des attentes des producteurs. En adaptant fidèlement les intrigues des deux premiers jeux, Romero ne proposait finalement rien de bien innovant : alors que les habitants de Raccoon City étaient évacués en urgence sous la menace d’une attaque biochimique, les membres du STARS (Special Tactics And Rescue Service) s’infiltraient quant à eux dans le fameux manoir du premier jeu sous les ordres d’un Wesker plus pourri que jamais. L’horreur appuyée du film voulu par Romero finit par déplaire aux décisionnaires de Constantin Films qui, tous assis le cul entre deux chaises, jugèrent le résultat pas suffisamment original et surtout trop violent pour leur garantir la visibilité plus grand public qui ferait gonfler les recettes à l’international. En effet, le studio envisagea finalement leur film moins comme une adaptation fidèle à leur jeu d’horreur que comme une grosse machine commerciale censée attirer le plus de jeunes possibles en salles. Ils déboutèrent (et dégoutèrent) donc le grand Romero qui claqua la porte tellement fort que le bruit fut entendu de loin par le jeune cinéaste Paul W.S. Anderson, l’illustre réalisateur de la première adaptation cinéma d’un jeu vidéo à avoir cartonné dans les salles : le grandiose Mortal Kombat.


Ereinté par la critique et la sortie dtv de son très médiocre survival SF Soldier (qui méritait bien une sous-exploitation vidéo) avec Kurt Russell, Anderson avait alors terriblement besoin d’un succès pour relancer sa carrière. Grand fan du jeu (selon ses dires), et cinéaste qui se qualifie volontiers de geek, il toqua donc à la porte de Constantin Films pour leur proposer sa propre version de Resident Evil. A savoir une réécriture complète de l’intrigue ainsi que la création de tous nouveaux personnages, et une approche privilégiant plus le côté SF et actioner que l’horreur en tant que telle. Un sacrilège quand on constate tout le potentiel horrifique des premiers jeux axés sur une ambiance essentiellement anxiogène et se déroulant principalement dans des environnements glauques (manoir abandonné, ville désertée, ruelles et immeubles sordides). Non pas que la terreur au cinéma obéit exactement aux mêmes codes que ceux des jeux vidéos du genre, mais le sujet aurait pu donner un bon film d’horreur, pas forcément calqué sur le scénario du jeu mais avec juste assez d’imagination, de savoir-faire et de bon goût. Peu importe pour Anderson, qui avait d’ailleurs procédé au même travail de sape sur son Mortal Kombat et ignoré par exemple tout le gore des fatalities. Son Resident Evil clignera plusieurs fois de l’oeil aux fans des jeux RE tout en proposant quelque-chose de différent. Exit donc les Jill Valentine, Chris Redfield, Ada Wong, Albert Wesker, les STARS, etc… Dégagés les affreux monstres zombies du manoir ainsi que les odieux Tyrants.


Grand admirateur de James Cameron (un peu comme Emmerich l’est de Spielberg), Anderson privilégie une approche à la Aliens et trouve sa Ripley en Milla Jovovich, ancienne top model dont la carrière au cinéma fut boostée par son mariage avec Luc Besson. La Milla incarnera ici la mystérieuse Alice, un personnage totalement inédit, autour duquel gravitera toute l’intrigue. Le reste du cast sera composé de James Purefoy en ersatz de Burke dans Aliens (Purefoy se fera surtout connaitre pour son incarnation de Marc-Antoine dans la série Rome), de Colin Salmon (ancien acteur fétiche du réalisateur), Eric Mabius (ancien champion de bobsleigh et troisième incarnation de The Crow) et surtout Michelle Rodriguez dans un énième rôle à la Vasquez. Tout ce joyeux petit monde s’incruste dans la Hive (la Ruche), le laboratoire sous-terrain d’une société pharmaceutique douteuse (la fameuse Umbrella Corporation) dont les locaux ont été mystérieusement condamnés depuis que le virus T a été diffusé dans tout le labo, transformant ainsi l’ensemble du personnel en charmants zombies romériens. Guidé par Alice (référence évidente à l’héroïne de Lewis Carroll, la robe bleue et le charisme en moins) à travers les locaux infestés de zomblards, le commando aura aussi fort à faire avec la Red Queen (référence flagrante à la Reine de coeur de… bon ok), l’IA gérant la sécurité du complexe, et qui transformera leur mission en parcours un rien plus périlleux qu’une émission de Fort Boyard.


Bon pour l’originalité là aussi on repassera, Anderson ne se compliquant pas trop la tâche en empruntant la sempiternelle intrigue de films de monstres de couloirs (après Leviathan, Mimic, Relic, etc…) et les personnages les plus archétypaux possibles (le chef valeureux, la fille mystérieuse, la soldat bad-ass, le traitre, l’IA diabolique). Déroulant son scénario comme on déroule un rouleau de PQ, Anderson y intègre ci-et-là quelques éléments censés flatter les fans du jeu (les dobermanns zombis, l’allusion au projet Nemesis) tout en réduisant le plus possible les débordements graphiques. Le gonze réussit ainsi à faire un soft-horror movie afin de contenter les desideratas de ses producteurs. En bon plagiaire, Anderson bouffera un peu à tous les râteliers, empruntant tout autant aux zombies de Romero qu’au schéma narratif d’Aliens (on tue le gros du commando, chef compris, au début puis on suit quelques survivants, tous des dead (wo)men walking hormis l’héroïne, jusqu’à la confrontation avec le monstre final), et intégrant des éléments comme le laboratoire sous-terrain du jeu Resident Evil 2, les ralentis et les cascades câblées de Matrix et la mécanique perverse des salles piégées de Cube. Ce dernier emprunt nous offrira d’ailleurs la meilleure scène du film, voyant une partie du groupe de soldats enfermés dans un couloir balayé par des rayons lasers les débitant tous en morceaux. Le seul coup de génie du film sera de nous faire croire quelques secondes que le très charismatique chef du commando en réchappera alors qu’il finit en puzzle de barbaque soigneusement découpée. Du Saw avant l’heure.


Pour le reste, ce ne sera qu’une succession de passages obligés (exploration de l'endroit, rencontre avec les premiers zombies, premières victimes, repli des survivants dans une salle, sacrifice d'un perso secondaire, trahison du beau gosse qui se fait tuer dans sa fuite, libération du monstre final, le fameux Licker) s’acheminant lentement vers une conclusion ouverte laissant présager une suite qu’on aurait imaginé plus audacieuse (le virus T se diffusant à Raccoon City et donc possiblement dans le monde) mais qui se révélera en fait totalement calamiteuse. Sorti en 2002, ce premier opus cinéma écopera d’un inexplicable classement R à sa sortie en salles aux States alors qu’il sera essentiellement destiné aux adolescents dans le reste du monde (dont chez nous). Désormais marié et entièrement dévoué à sa muse (Jovovich a d’ailleurs avoué dans une interview qu’elle avait à l’époque demandé à son futur époux qu’il lui offre toutes les meilleures scènes au détriment de l’autre héroïne du film, Michelle Rodriguez), et occupé à massacrer les franchises Alien et Predator pour le compte de la Fox, Anderson écrira et produira deux autres suites en forme de bras d’honneur aux jeux vidéos, en en expurgeant soigneusement toute la dimension anxiogène pour n’en retenir que les zombies à dégommer, les cascades absurdes de son héroïne, les mutants en CGI dégueux, un Nemesis pas flippant et les manigances débiles de la firme Umbrella. Il réalisera d’ailleurs lui-même les trois derniers opus, dont il réservera toujours, en bon népotiste, le haut de l’affiche à sa femme (il est d’ailleurs intéressant de constater que dans quasiment tous les films de la franchise, Milla trouve souvent une scène où elle apparait/se réveille nue). Le chef d’oeuvre de la saga restant d’ailleurs l’opus Retribution, véritable sommet d’aberrations stylistiques dans lequel le réalisateur n’aura de cesse de détailler les courbes de ses héroïnes (Alice, Ada Wong), en laissant trainer l’objectif sur leurs jambes et leurs fessiers (un peu comme le faisait le grand Michael Bay avec Megan Fox dans son premier Transformers).


Mieux vaut donc peut-être se tourner vers la série de films d’animation en CGI dégueulasses produite par Capcom dès 2008, déjà plus respectueux du matériau original, tout en attendant la sortie du reboot cinématographique, a priori plus fidèle aux deux premiers jeux, au vu de son premier trailer. Bien que ne volant pas très haut et aujourd’hui apprécié tout autant que détesté, ce premier opus signé Anderson reste paradoxalement le meilleur de la saga ciné. Dans une de ses interviews, Paul W.S. Anderson s’en félicitait, rappelant d’ailleurs au passage que son film avait initié à lui-seul le renouveau du film de zombie sur grand écran. Bien sûr ce n’est pas trop d’orgueil de sa part de nous le rappeler, son Resident Evil restera très probablement dans l’histoire du cinéma fantastique pour avoir relancé le genre inventé par Romero… Hein quoi ? Pardon ? Les zomblards/infectés de 28 jours plus tard ?? Ah oui tiens ça c’est bizarre, Paul n’en parlait pas.

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le 9 nov. 2021

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Buddy_Noone

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