Ce n'est pas d'hier que la Warner tente de mettre en chantier la fameuse confrontation cinématographique entre ses deux super-héros les plus emblématiques. En près de vingt ans, le projet Batman versus Superman aura bénéficié d'une attention toute particulière du grand studio, désireuse de capitaliser à fond sur l'univers étendu des comics DC. Mais le succès des adaptations de Nolan condamna un certain temps le projet à demeurer au fond des tiroirs alors que de son côté la Marvel élaborait un Cinematic Universe tout aussi développé que parfaitement cohérent. The Dark Knight Rises sonna alors en 2011 tant comme un épilogue remarquable au triptyque de Nolan que comme une libération pour la Warner laquelle ne tarda pas à élaborer son offensive. Pensé officieusement comme une première étape vers la Justice League (il est bourré d'éléments confirmant l'existence d'autres personnages DC), Man of Steel peina pourtant à convaincre un public un rien blasé par ce déferlement super-héroïque sur les écrans. D'où la hâte un rien maladroite du grand studio de convoquer la nouvelle incarnation du Chevalier Noir pour l'opposer à leur autre grand champion dans une troisième tentative tardive et risquée de cross-over.


Risqué, d'autant que Dawn of Justice fait finalement autant suite à Man of Steel qu'il sert de prologue aux futures aventures de la JLA. Après avoir magnifié les premiers exploits du (nouveau) fils de Krypton, Zack Snyder hérite logiquement de la tâche de poursuivre les aventures de Clark Kent tout en intronisant la nouvelle incarnation du Dark Knight (et pas que). Un exercice rendu d'autant plus périlleux par la présence annoncée d'une foule de personnages emblématiques de l'écurie DC. A charge à David S.Goyer, auteur à la filmo inégale, déjà scénariste de Man of Steel et de la trilogie du Dark Knight de Nolan, d'écrire un scénario suffisamment cohérent pour crédibiliser la mise en présence de tous ces protagonistes.


Comme Man of Steel nous avait déjà largement familiarisé avec Kal-El et ses congénères, Dawn of Justice consacrera une bonne partie de son exposition sur la seule perspective de l'autre vedette du film : Bruce Wayne. Désireux de maintenir une certaine cohérence entre ses deux derniers films, Snyder nous convie ainsi très vite à revivre les événements cataclysmiques concluant Man of Steel, à la différence que la dévastation de Metropolis par Zod et Kal-El nous sera montré cette fois-ci à notre hauteur, à travers les yeux d'un homme désemparé face à l'ampleur du désastre auquel il assiste. En reléguant au hors-champ le pugilat des deux Kryptoniens, le cinéaste décuple d'autant plus leur force dévastatrice qu'il amplifie le sentiment d'impuissance des humains, spectateurs effarés, totalement perdus sur le plancher des vaches. Tout aussi immersif puisse-t-être le procédé (Snyder ne fait ici que suivre un traitement qui a fait école, celui de Spielberg avec La Guerre des mondes), il sert surtout ici à mettre en valeur le seul point de vue de Bruce Wayne de manière à expliquer ses futures motivations. Snyder (re)met ainsi en scène la dévastation de Metropolis immédiatement après avoir réinterprété le trauma du jeune Bruce, opérant ainsi une subtile mise en parallèle entre deux traumas déterminants dans la vie du Chevalier Noir. A travers son incapacité à agir face au pugilat des Kryptoniens, c'est son impuissance d'enfant devant le meurtre de ses parents que Bruce revit à nouveau.


Et si le milliardaire occupe à lui seul une bonne partie de l'exposition, son alter-ego masqué bénéficiera d'une entrée en matière des plus remarquables, Snyder ayant la bonne idée de s'éloigner des interprétations précédentes du justicier pour en faire un vigilante tout aussi brutal qu'effrayant, parfait miroir cinématographique du Batman de Frank Miller. Preuve en est cette première intervention du justicier, que le réalisateur choisit de filmer comme une séquence à la limite de l'horreur, plongeant à la suite d'un binôme de flics dans une bâtisse sordide où résonnent les cris de la proie du Chevalier Noir, alors assimilé à un démon. Le justicier n'hésite ici d'ailleurs pas à marquer ses victimes, en faisant des indics aux yeux de tous et les condamnant de la sorte à une mort certaine en prison. Loin des considérations morales du héros de Nolan (lequel restait très fidèle à l'approche des derniers comics), le Batman de Snyder ne s'embarrasse ainsi plus de la fameuse règle d'or (et se rapproche en cela un peu plus de la version de Miller et de celle de Burton), comme l'annonce le superbe plan-séquence "extra-terrestre" et que vient confirmer la course-poursuite centrale. Qui plus est, il est évoqué que le justicier combat déjà le crime depuis vingt ans dans les rues de Gotham, vingt longues années servant ici de background idéal pour nourrir ses futures aventures d'alliés et d'adversaires connus ainsi que de blessures encore douloureuses (comme en atteste le regard hanté que Bruce porte sur son propre costume ainsi que sur celui de son partenaire défunt). Gonflé, Snyder va même jusqu'à faire de Batman un personnage aveuglé par la haine et le désir de vengeance, manipulé par des instances malveillantes en vue de l'opposer au fils de Krypton.


Face au justicier milliardaire, Superman lui, peine un peu à exister. Ce n'est pourtant pas pour cela que le film sous-traite le personnage et son background (voir cette très belle scène de retrouvailles avec son père au sommet d'une montagne), celui-ci étant ici clairement au centre des débats. Kal-El doit ainsi endosser pleinement le rôle de sauveur de l'humanité tout en devant faire face aux conséquences de ses actions dans le précédent film. Ne perdant jamais de vue l'analogie religieuse mise en place dans Man of Steel, Snyder magnifie chacune des interventions de son surhomme en les nourrissant d'une imagerie christique des plus fascinantes (la silhouette de Kal-El se découpant à la lumière du soleil). Mais ici, la présence de Superman sert surtout à répondre à la trajectoire de Bruce Wayne, comme en témoigne la rencontre entre le milliardaire et le journaliste du Daily Planet un rien opportun qui semble l'avoir mis à jour. A l'image de cette scène, leur confrontation ne trouve véritablement d'intérêt que dans la défiance qu'ils nourrissent l'un pour l'autre. D'autant qu'à travers ces deux personnages, Snyder se consacre exclusivement à confronter l'humain et le divin en les mettant en présence sur le même astre, et en nourrissant leur incompréhension respective par le truchement d'une foule de personnages (Alfred, Luthor, la sénatrice, l'infirme) gravitant autour d'eux.


C'est hélas sur ce dernier point que le film de Snyder perd beaucoup de sa superbe. En accumulant les personnages secondaires (dont beaucoup de protagonistes vedettes des comics DC), le scénario finit par complexifier inutilement une intrigue, pourtant simpliste au possible, qui aurait grandement gagné à se passer d'une telle réunion de protagonistes. Preuve en est, le personnage de Wonder Woman, extrêmement mal exploité durant le film et dont l'intervention finale relève du deus ex machina pur et simple, prétexte à la formation future de la JLA. Les autres membres de la ligue se contentent quant à eux de caméos tellement mal insérés (en found footage...) qu'ils relèvent du ridicule le plus pénalisant quand on repense à la longue mise en place des personnages Marvel dans leur propre univers cinématographique. Leur présence est surtout l'occasion pour Snyder et son scénariste d'insérer maladroitement le concept de méta-humains (grands rivaux DC des mutants de la Marvel), sensé expliquer la présence de surhommes sur Terre. Luthor quant à lui, bénéficie d'une plus grande présence à l'écran mais l'intérêt du personnage se voit hélas nivelé par le bas par le cabotinage excessif de Jesse Eisenberg, lequel préfère jouer le riche héritier comme un fou à la limite du pathétique plutôt que comme le mégalo implacable qu'il a toujours été dans les comics. Quant à Doomsday, on pourra passer sur le remaniement de ses origines (les gênes de Zod ?) mais moins sur son intervention en fin de métrage laquelle fait hélas tirer celui-ci furieusement à la ligne dans ses dernières minutes, malgré la puissance apocalyptique des images qu'il nous offre.


Cette accumulation de personnages finit clairement par altérer la qualité d'un script qui se révélait pourtant très prometteur dans sa première heure. Au point que le scénario en vient à sacrifier le développement du Chevalier Noir, trop longtemps cantonné à la poursuite d'un mcguffin (la kryptonite) avant de servir de pion noir sur l'échiquier de Luthor et devenir clairement inutile en dernière bobine (voir comment il observe le combat contre Doomsday sans pouvoir y prendre part). Totalement dépassé par l'ampleur des événements, le Batman (dont le nom n'est jamais évoqué) fait même figure d'antagoniste dans son pugilat avec Superman, l'empathie du public ne pouvant alors que répondre au point de vue de Kal-El, personnage alors bien plus sensé que son adversaire. Leur affrontement longtemps annoncé devient alors une vaine tentative de l'un pour convaincre l'autre de son aveuglement. La scène est impressionnante et lorgne clairement (tant dans ses enjeux que d'un point de vue purement esthétique) sur le fameux combat clôturant le The Dark Knight Returns de Miller. Reste que ce déchaînement hargneux aurait fait bien meilleure impression s'il n'avait pas été suivi d'une demi-heure supplémentaire de métrage. Ajoutez à ça une collection d'ellipses et de raccourcis narratifs réellement frustrants (la rencontre de Lex et de Loïs sur le toit de l'immeuble) étalés sur une durée de deux heures trente et vous comprendrez pourquoi le dernier film de Snyder n'a rien d'une franche réussite.


Et pourtant, Dawn of Justice n'est pas un film que l'on peut détester, loin de là. Il suffit de voir comment le réalisateur habille son métrage d'une imagerie parfois à la limite du grandiose, composant des plans signatures remarquables (où il découpe toujours l'action au ralenti pour en tirer toute la richesse esthétique) tout en livrant des séquences d'action ahurissantes en plus d'être parfaitement lisibles. Hautement spectaculaire et référentiel (les clins d'oeil aux comics ne manquent pas), Dawn of Justice regorge de scènes d'anthologies (l'effondrement de la tour Wayne, le discours interrompu de la sénatrice, Batman portant secours à la mère de Clark) et a le mérite d'aborder de front un sujet souvent sous-traité dans ce type de métrage : les répercussions des interventions super-héroïques sur l'opinion publique et le moral d'une humanité dépassée par la présence de demi-dieux ne lui demandant même plus son avis. Le spectre du despotisme et la terreur de l'assujettissement prédominent ici à travers l'évocation de pouvoirs que rien ne semble pouvoir contrecarrer. Après avoir révélé sa pleine puissance dans son combat contre Zod, Superman devient ainsi la source de toutes les craintes et ce même s'il ne fait que préfigurer bien malgré lui le tyran à venir. Quand on sait que le prochain Captain America traitera aussi beaucoup de cette problématique, il faut croire que le facteur humain n'a pas fini d'alimenter les intrigues des prochains métrages du genre.


En cela, Dawn of Justice a beau regrouper assez de scories pour en faire aux yeux de tous une oeuvre de producteurs, la cohérence avec laquelle il raccroche les wagons avec Man of Steel en fait surtout un film de Zack Snyder. D'autant que le réalisateur trouve ici l'occasion parfaite pour aborder frontalement des thèmes qui n'ont jamais cessé de nourrir sa filmographie : la guerre, le rapport au divin et la volonté de transcendance étant au centre de ses films 300, Watchmen, Sucker Punch, Le Royaume de Ga'hoole et Man of Steel. Plus encore qu'aux comics adaptés ici, l'apparition des méta-humains dans Dawn of Justice répond aux prémisses d'une apocalypse annoncée par un tableau dantesque que Luthor se plait à voir totalement inversé. Littéralement porté par une révélation dans le prologue (l'enfant se voyant décollé du sol, porté par les chauve-souris, est une idée simplement grandiose), Bruce Wayne y devient une sorte de St Jean, en proie à des prémonitions d'Armageddon et luttant dans le désert contre les légions d'un démon encore invisible mais qui n'oublie pourtant pas de lâcher sa bête sur le monde. Face à celle-ci, Superman deviendra en quelque-sorte l'archange Michel, pourfendant le Leviathan de sa lance pour mettre fin au règne de la terreur. Si les super-héros de comic books (movies) tendent depuis longtemps un miroir aux grandes figures peuplant les écrits religieux, elles trouvent clairement en Dawn of Justice leur interprétation la plus flagrante et éloquente.


Les dieux DC sont enfin parmi nous et Dawn of Justice est en quelque sorte leur première évangile cinématographique. S'inscrivant autant dans une logique d'auteur que de producteurs, empreint d'un trop plein de références qui lui donne autant d'intérêt qu'il lui en fait perdre, le film de Snyder n'a certainement pas fini de diviser le public. Certains spectateurs n'y verront peut-être qu'un comic book movie de trop, excessif dans tous ses aspects et croulant clairement sous le poids de ses aspirations. D'autres en revanche, préféreront se réjouir du spectacle ahurissant que constitue la dernière oeuvre de Zack Snyder et y voir les prémisses d'un formidable univers étendu.

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le 29 mars 2016

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Buddy_Noone

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Kelemvor
4

Que quelqu'un égorge David S. Goyer svp, pour le bien-être des futures adaptations DC Comics !

Qu'on se le dise, Man of Steel était une vraie purge. L'enfant gibbeux et perclus du blockbuster hollywoodien des années 2000 qui sacrifie l'inventivité, la narrativité et la verve épique sur l'autel...

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