En 1993, sortait avec le succès que l'on sait le premier opus de la franchise Jurassic Park. En combinant les différentes techniques de SFX et en poussant à leur paroxysme des images de synthèse encore à leur stade expérimental, Spielberg et son équipe permettaient au public du monde entier de pouvoir admirer les premiers dinosaures photo-réalistes de l'histoire du 7ème art. Génial jusqu'au bout de ses focales, le papa d'E.T. y compensait les limites des effets spéciaux de l'époque par une savante gestion des éclairages et des éléments (usant par exemple d'un épais manteau de pluie pour filmer l'attaque nocturne de son T-Rex) tout en livrant plusieurs de ses plans-signatures les plus inoubliables (le brachiosaure se cabrant subitement devant les protagonistes médusés, les raptors reniflant la vitre de la cuisine, le T-Rex sortant de son enclos ou rugissant devant la bannière tombant du plafond). Techniques que le cinéaste réemploiera magistralement dans Le Monde Perdu, avant de déléguer la réalisation de Jurassic Park 3 à Joe Johnston. Un troisième opus certes divertissant mais dénué de toute ambition qui renfloua finalement tout juste les caisses des producteurs, lesquels ne virent alors plus aucun intérêt de prolonger la franchise, enfin conscients des limites du concept imaginé par l'écrivain Michael Crichton. Il faut dire que le scénario du film de Johnston ne faisait finalement que recycler bon nombre d'idées abandonnées par Spielberg pour son diptyque (la volière aux ptérodactyles, le dinosaure-amphibie attaquant une embarcation, autant d'éléments présents dans le roman de Crichton et absents des deux premiers films).


Depuis, bon nombre de monstres numériques se sont allègrement bouffés la gueule sur les écrans et il aura fallu près de 15 années de surenchère bigger and louder pour que les financiers de la Universal se décident à miser à nouveau sur leurs dinosaures. Confié au méconnu Colin Trevorrow, Jurassic World fut largement annoncé via moult spots tv, trailers et extraits comme une extrapolation ambitieuse et modernisée de l'univers original, le scénario de ce quatrième opus étant censé faire suite au premier film (même si rien n'empêche de le situer après les deux autres). Le chaos initial ayant ravagé le premier parc de Isla Nublar y a été endigué, les dinosaures de nouveau en captivité sont devenus la principale attraction mondiale et des millions de touristes affluent depuis plusieurs années déjà dans ce parc futuriste pour y admirer autant d'inoffensifs brachiosaures que de créatures bien plus carnassières et effrayantes comme ce gigantesque mosasaure régnant sur les fonds marins ou encore ce T-Rex vieillissant et balafré (fichus raptors). Le vieux rêve de feu John Hammond est enfin devenu réalité et tout semble contredire les prévisions chaotiques d'un certain Ian Malcolm. Cependant, le public (des deux côtés de l'écran) semble progressivement s'être lassé de ce zoo préhistorique, la vision des dinosaures tous aussi imposants et terrifiants puissent-ils être ne suscitent plus le même émerveillement qu'auparavant. Ce qui pousse les cupides décisionnaires d'Ingen, tout comme les producteurs du film, à vouloir proposer une toute nouvelle créature, un prédateur alpha capable de raviver l'intérêt des masses...


Evidemment, tout comme Jurassic Park en son temps, la fiction répond ici à la réalité. Alors que Spielberg jouait constamment d'une mise en abîme de son propre travail à travers les efforts visionnaires de John Hammond, Colin Trevorrow établit un maigre parallèle entre les desideratas des studios et ceux de Ingen. Outre les motivations équivoques des scientifiques-scénaristes et des dirigeants-producteurs, on remarquera surtout cette structure narrative émulant de manière grossière le concept d'attraction soutenant l'argument de départ des quatre films de la franchise.


Ainsi, conscient que les dinosaures-vedettes magnifiés par Spielberg font depuis longtemps parti de la pop culture, Trevorrow évacue rapidement le suspense quant à leur apparition. Les brachiosaures, tricératops, T-Rex et même le tout nouveau mosasaure nous sont ainsi révélés au même rythme qu'un circuit-découverte dans le parc d'attraction. Ce qui contredit quelque peu une partie du propos du premier film (souvenez-vous : "Le T-Rex ne veut pas qu'on le nourrisse, il veut chasser...").
Certes, le réalisateur nous fait quelques secrets quant à la présence du Tyrannosaure qu'on entrevoit à peine au début du film, caché par une foule amassée devant la vitre qui la sépare du prédateur, ainsi qu'à celle de la principale menace du film, le dénommé Indominus Rex. Les raptors eux, stars récurrentes de la franchise, nous sont rapidement révélés de manière à introduire le personnage de Chris Pratt, archétypale à l'extrême comme la plupart des autres protagonistes du film d'ailleurs. Que ce soit la femme d'affaire arriviste (principal élément comique du film), les enfants voués à se perdre dans le parc (une constante énervante de la saga), le sidekick inutile (le scénario abandonne d'ailleurs Omar Sy a son tronc d'arbre), le scientifique arrogant (BD Wong y retrouve son personnage du premier film, à peine plus développé) ou encore ce bad guy un peu con incarné par Vincent D'Onofrio, personnifiant à lui-seul l'opportunisme aveugle d'une corporation imbécile voulant transformer ses monstres en armes de guerre (Ingen s'apparente ici clairement à la Weyland-Yutani), tous témoignent d'une caractérisation bâclée qui empêche la moindre identification du spectateur. D'autant que le scénario, d'une simplicité affligeante, aligne autant de facilités narratives que de clichés plus ou moins gênants qui permettent largement au spectateur d'anticiper sur le cours des événements et le sort réservé aux différents personnages.


Quant à l'idée-prétexte du monstre génétique combinant à lui-seul l'ADN de pas moins de quarante espèces (T-Rex, Velociraptor, crapaud, caméléon, suricate, psychopathe...), elle n'a évidemment rien d'originale et renvoie une fois encore au thème ultra-rebattu des scientifiques se prenant pour dieu. Après tout, science sans conscience n'est que ruine de l'âme comme disait Ian Malcolm... ou Rabelais, je sais plus. D'ailleurs, vous remarquerez que les scénaristes prennent finalement soin de préserver les dits scientifiques en les évacuant du marasme dans la perspective évidente de convoquer à nouveau leur talent et leur bêtise dans une suite plus que probable, vu les résultats du film au box-office.


Et même si l'on retient quelques bonnes idées, dont en particulier le dressage improbable des vélociraptors et cette fragile "confiance mutuelle" qui les lient au personnage de Owen (cela dit, voir Pratt engueuler des raptors c'est autrement plus classe que de voir Alan Grant souffler dans un appeau), l'ensemble est sans cesse nivelé par le bas par une succession de péripéties convenues, assaisonnées d'un humour bas du front et souvent involontaire. Pour preuve, en 1993, on ne pouvait s'empêcher d'être horrifié par le sort du personnage de Muldoon, dévoré vivant par le raptor qu'il traquait. En 1997, on priait presque pour que ce brave type piégé dans sa jeep échappe aux crocs des deux T-Rex affamés qui finiront par se partager sa carcasse. En 2015, toute la salle se marre au sort de chacune des victimes de ce Jurassic World. Ou s'en désintéresse complètement. En cela, Trevorrow et ses scénaristes ont vu juste, le public est bel et bien blasé et peu impressionnable et ce n'est certainement pas Jurassic World qui changera la donne. Le réalisateur aura beau soigner sa mise en scène et jouer à fond la carte de la nostalgie (le retour dans le complexe abandonné du premier film) et du fan service le plus outrancier en convoquant dans son climax une des grandes vedettes attendues de la franchise, ce prétendu revival n'aura jamais l'air d'autre chose qu'une bonne grosse machine à faire du fric. Il s'agit donc surtout ici d'être bon public, d'oublier le génie de Spielberg (malgré tous les clins d'oeil évidents que fait Trevorrow à son oeuvre) et d'apprécier le cinéma pop-corn et surfriqué.


Evidemment, les plus jeunes et les plus enthousiastes pourront toujours s'extasier devant cette profusion de monstres tout aussi carnassiers que versatiles. Reste à savoir s'ils apprécieront autant le film dans vingt ans, comme il est toujours possible aujourd'hui de s'émerveiller devant le chef d'oeuvre de Spielberg et la puissance évocatrice de ses images. De toute manière, la comparaison n'a même pas lieu d'être, l'époque des dinosaures est définitivement révolue.


Pour lire ma critique de Jurassic Park :
http://www.senscritique.com/film/Jurassic_Park/critique/34317240

Buddy_Noone
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le 16 juin 2015

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Buddy_Noone

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