Les hasards des publications éditoriales m'ont amené à découvrir l'avant-dernier tonton Speilby quelques jours à peine après l'honnête (mais un gros poil lénifiant) LBJ, de Rob Reiner.
Dans les deux cas, une facette du président Johnson y est révélée, rigoureusement opposée l'une à l'autre. Alors qu'il y a quelques années j'aurai sans doute naturellement choisi un camp (à priori le Spielberg contre le Reiner), le grand âge a tendance à m'inciter à penser que la vérité, si tant est qu'il en existe une, se situe entre les deux portraits, et que ce qui est mis en exergue ici n'est pas forcément exclusif et contradictoire à ce qui est souligné là. On peut sans doute, au cours d'un même mandat, d'une même existence, accomplir les choses les plus courageuses et les actes les plus vils, en fonction du contexte, des enjeux et des conseils reçus.
Pas toujours facile à admettre dans un environnement ou hurler un avis tranché et définitif sur chaque sujet semble la marque de fabrique des moralistes du net que nous sommes tous devenus.


Parmi les nombreux rapports que les spectateurs du Pentagon Papers ont pu établir entre 1971 et 2018, le plus piquant est sans aucun doute celui du rôle de la presse dans la relation que la liberté d'information entretient avec la politique. S'il n'omet aucune collusions qui ont toujours liées les deux sphères, Spielberg prend un malin plaisir à montrer une presse célébrée par les foules contestataires au moment où, de nos jours, seuls quelques organes ont réussi à préserver un reliquat de crédibilité. La aussi, l'opprobre facilement jeté sur une profession à la pratique délicate fait l'impasse sur une proximité nécessaire entre un journaliste et son sujet afin de pouvoir le disséquer au plus près. Jusqu'à quel point se compromet-on ? Comment s'approcher d'un engrenage sans s'y faire prendre ? De telles questions n'ont jamais trouvé de réponses ailleurs que dans une éthique personnelle et, parfois, des concours de circonstances.


Cette porosité est incarnée par Kay Graham.
On reproche au film son manque d'enjeu et de tension. Bien évidemment, lorsque 99% de la production hollywoodienne met en scène la mise en danger physique ou la mort de la majorité de ses personnages, ce Post fait pale figure. Pourtant, le portrait de cette femme propulsée malgré elle dans un univers auquel rien où presque ne l'avait préparé est sans doute la réussite principale du film. Risquer de mettre en péril tout ce sur quoi repose sa vie (à la fois son héritage et l'avenir de toute sa famille, en plus d'une entreprise faisant vivre un bon paquet d'hommes et de femmes: rappelons que le contexte est que ceci intervient le jour ou le journal est placé sur les marchés financiers) sur une décision arrachée sous pression n'est pas aussi anodin et neutre qu'il pourrait paraitre. Enfin, je veux dire dans la vraie vie.
Encore une fois, il me semble que donner de grandes leçons morales est peut-être légèrement plus facile quand on ne risque rien de personnel derrière un ordi que quand on place sa propre vie au cœur d'un maelstrom émotionnel et décisionnel. C'est sans doute pas follement spectaculaire et sexy, mais parfois une avancée démocratique avance grâce à une décision intime autant qu'à la faveur d'une prise de bastille.


Tout ceci ne doit pas nous faire oublier que la contribution technique de Spielberg à cette histoire est ici parfaitement mollassonne et paresseuse. L'ex wonderboy déroule son propos de la manière la plus convenue, récitant ses tics de mise en scène sans la moindre idée nouvelle ni une once de passion.
On ne change pas une équipe qui stagne: Michael Khan (83 ans) et John Williams (86 ans) sont toujours de la partie, et on a bien plus l'impression d'assister à la sortie d'un bateau de plaisance du club du quatrième âge local qu'au départ d'une course autour du monde en solitaire. A l'heure ou bien des skippers ne maîtrisent pas des hors-bords trop puissants pour eux, on pourrait trouver la chose salutaire. Mais un peu plus de vent dans les voiles n'aurait quand même pas fait de mal.

guyness

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