Deux grandes figures du cinéma Hollywoodiens, Spielberg et Eastwood, se laissent de plus en plus tenter à la figure balzacienne du romancier historiens : immersion dans une époque, dramatisation, pour un éclairage censément nouveau de l’exceptionnel comportement de quelques individus contre un système alors encore imparfait. Alors qu’Eastwood se vautre dans une actualité de plus en plus récente, Spielberg visite des périodes au potentiel graphique et narratif supposément fertiles : Cheval de guerre, Lincoln ou Le Pont des espions dessinent ainsi une carte bigarrée de l’héroïsme, qui fonctionne à peu près toujours sur les mêmes ressorts.


Mais, - et c’est là un nouveau point commun avec Eastwood, la maigreur du récit en question l’effraie de moins en moins : de cette histoire des Pentagon Papers, il n’y a pas grand-chose à tirer : une chapitre de la liberté de la presse en forme de bras de fer avec Nixon, un portrait de femme dans un monde d’homme à l’aube des 70’s, tout au plus, et, par saupoudrage, une évocation de la désastreuse gestion de l’engagement américain au Vietnam.


La paresse le dispute au sentiment général de dilution : Spielberg semble se dire que son duo de stars se contentera de remplir les – très nombreux – vides : on devise à n’en plus finir, sur la musique inepte d’un John Williams sous perfusion et une photographie vaguement bleutée dans laquelle le jaune de l’époque génère quelques contrepoints : les tableaux de Janusz Kaminski s’enchaînent, mettant en valeur la coûteuse reconstitution, qu’on tente de dynamiser à renfort de mouvements de caméras qui, au mieux, singent les travellings des Hommes du Président, au pire ne servent à rien, tout comme le recours fréquent au montage alterné pour tenter de générer une tension qui ne prendra jamais vraiment. Mention spéciale à ces atroces séquences qui matent Nixon de dos par la fenêtre de la Maison Blanche, lors de supposées écoutes téléphoniques nous donnant accès aux arcanes du pouvoir par le biais de reconstitutions qu’on croirait issues des émissions de M6.


Le film est miné par une narration déceptive permanente, à l’image de la façon dont le journal parvient à mettre la main sur les fameux documents : on a beau nous faire croire à une vague investigation, on comprend bien qu’on leur met le paquet dans les mains et qu’il s’agit d’avoir le courage de s’en faire le relais ; de là à penser que Spielberg fait de même avec un scénario doté d’un casting oscarisable, il n’y a qu’un pas.


On pourra toujours, comme le font les thuriféraires inconditionnels, tisser des liens faciles avec l’actualité, et montrer comment le film arrive à point nommé pour, d’une part, revaloriser le rôle des femmes qui le revendiquent un peu plus que d’habitude depuis quelques mois, et de l’autre évoquer la réserve dont devrait faire preuve un président fantasque face à l’inattaquable liberté de la presse : « The press was to serve the governed, not the governors. ».


Mais deux heures d’atermoiements mollassons ne se justifiaient sans doute pas pour aboutir à de telles évidences.

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le 7 févr. 2018

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