Tout juste après Lincoln et Le Pont des Espions, Steven Spielberg continue à mener son combat qui voit se défier l’humain et son aura démocratique face aux autorités. Avec son dernier film Pentagon Papers, c’est le destin de la liberté journalistique et de l’émancipation féminine dans la prise de position politique qui domine une œuvre qui brille par son urgence esthétique.


Pentagon Papers affirme avec véhémence ses enjeux, quitte à désincarner l’ampleur de ses personnages mais n’oublie jamais que l’information est l’idée fondamentale de son œuvre. Au-delà d’un questionnement sur la liberté des journalistes et sur l’importance du secret des sources, Steven Spielberg nuance son discours fédérateur en s’interrogeant sur le métier même du journalisme. Ces personnes, qui interpellent, qui nourrissent les faits et donnent l’information, doivent-elles minimiser la sécurité de l’intérêt général pour maximiser la primauté du scoop ? Mais dernière ce canevas, Pentagon Papers, grâce à sa richesse flamboyante et son casting 4 étoiles (poignante Meryl Streep), ne cesse de bouger les lignes en dérégulant les positions morales dans lesquelles se placent les protagonistes. Pentagon Papers narre les jours brûlants qui ont mené à la décision du Washington Post de publier des documents « secret d’État » sur l’implication américaine dans la guerre du Vietnam.


Point de manichéisme dans une œuvre forcenée, qui aligne les longs dialogues, les moments de groupes où la vérité prend une forme différente selon la personne qui prend la parole. Mais on l’aura vite compris, la liberté de la presse, la prédominance du premier amendement américain est le clou du spectacle d’un Pentagon Papers qui martèle un peu trop souvent son thème de prédilection en abordant de front toutes les crises actuelles, en ce qui concerne la sécurité nationale, les dangers de confondre le gouvernement avec la nation, le rôle de la presse et même les journalistes qui papillonnent avec leurs amitiés avec les pouvoirs en place. Steven Spielberg veut donner à son intrigue historique, une aura moderne, qui semble vouloir indiquer une véritable ligne de conduite morale à l’Amérique et qui sent la contestation politique démocratique face à la vocifération un peu crasse des tweets de Donald Trump.


Dans sa tradition humaniste, et dans sa modernité féministe, Pentagon Papers érige son discours, mais éblouit par sa forme. Ce qui fait toute la beauté du film, est cette sensation d’urgence constante, cette passation de pouvoir entre l’envie d’avoir l’information et détenir l’information. C’est dans ces moments-là que Steven Spielberg donne du piment à son film, sans l’encombrer de facéties inutiles. La caméra suit les personnages mais colle aux basques de ce qu’est l’entreprise journalistique. Si les personnages voient leur profondeur de champ personnelle s’effacer pour donner naissance à des fulgurances thématiques, c’est avant tout pour que Pentagon Papers trouve son étincelle par l’image, et sa puissance iconique. Steven Spielberg donne à sa dernière création une capacité inouïe à trouver le bon angle de vue, à chaparder l’insondable et faire corps avec la vitalité de son sujet.


De ce cinéma en mouvement qui prend le pas et le pouls de son intrigue, Pentagon Papers scrute la mobilité et la valeur de l’information. A travers ce dispositif visuel, qui parait parfois théâtral et chorégraphié, l’infiniment grand et l’infiniment petit se chevauchent, et trouvent des points d’accroche dans le regard que l’un porte sur l’autre. De ses réunions de bureau jusqu’aux banquets mondains pléthoriques, de ses immenses salles de rédaction façon open space jusqu’à ses intimes repas de famille, Pentagon Papers magnifie avec perfection sa propre volonté qui est de donner vie à la rapidité de la captation même de l’esthétique. Il n’y a pas grand-chose dans Pentagon Papers à titre d’action, et le film entier est tourné dans peut-être quatre salles au mieux, capturant des événements sur 10 jours tout au plus.


Le film agit comme un fuseau horaire, qui déclenche un magma bouillonnant : à l’image de cette sublime séquence de l’appartement de Ben Bradlee (Tom Hanks) où lui et toute son équipe décortiquent et analysent le rapport contenant des secrets d’État. Mais au milieu de ceux-ci, il y a de la vie, de la vigueur, une flamme qui prend corps dans Pentagon Papers, où le réseau journalistique voit ses lumières s’allumer petit à petit et essaye tant bien que mal de redorer le blason d’une Amérique chahutée.


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le 24 janv. 2018

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