Napoléon
5.1
Napoléon

Film de Ridley Scott (2023)

"L'Angleterre est une nation de boutiquiers"*

Après le visionnage, une seule pensée me traverse l’esprit : mandater Jaco Van Dormael pour faire une biopic sur Victoria, en langue française, choisir Balasko pour le rôle et la faire passer pour une bécasse avec un gros cul. C’est comme ça que je répondrais à Ridley Scott.

Pourtant, je suis pas un fan ni même un spécialiste de Napoléon. Mes connaissances se limitent à ce que l’on m’en a dit durant ma scolarité, à une poignée de films (celui de Guitry dont nous sommes trèèèèèèès loin, ici), et à des brides d’infos dans les livres sur ses contemporains, et ces souvenirs ne collent absolument pas avec la présente proposition.

Ridley Scott s’est contenté de faire une version ultra convenue, conforme aux attentes d’Hollywood. Alors que le sujet Napoléon est l’un des plus documentés de l’Histoire. Et ce qu’on peut lui reprocher, ce ne sont pas les inévitables approximations historiques qui manquent rarement de se produire dans de tels projets, mais le fait de n’avoir absolument rien compris au personnage, et de l’avoir dépeint comme un gros beauf à la lisière de la crétinerie congénitale.

On peut ainsi taxer Napoléon de beaucoup de choses : d’être un dictateur sanguinaire pour qui la vie humaine n’a pas la moindre valeur, un militaire mégalo accroc au coup d’état et à l’envahissement de pays voisins, mais pas de ça.

Sur le champ de bataille, on ne voit pas son génie stratégique, alors qu’il en a forcément un, j’imagine. Lors de la prise du fort de Toulon, il se couvre de ridicule en tombant de cheval et en empoignant un peu maladroitement son sabre, il part à l’abordage comme un gamin (de 50 ans quand même) apeuré qui se laisse griser. Aux manettes du pays, on ne perçoit jamais son génie politique (une scène confuse où il sent qu’il va se faire mettre au rancart, et parvient avec l’aide de son frère, et d’une manière comique, à prendre le pouvoir in extremis à l’aide d’une vingtaine de baïonnettes).

Même J. Phoenix qui est un acteur formidable semble complètement perdu dans le rôle. Un peu boursouflé, il fait plus penser à Tommy Wiseau qu’à une figure historique universelle. Il est bien évidemment trop vieux pour le rôle, se perd entre regards fixes et vides, et gloussements avant d’assaillir Joséphine (la désormais célèbre position de Napoléon sur les remparts) qui a un rôle démesurément important dans un film retraçant l’histoire d’un type qui a traumatisé l’Europe.

Mais c’est justement l’important dans la tête de Scott, persuadé d’avoir dépoussiéré le mythe corse avec un chiffon bien moderne : l’homme qui a fait trembler l’Europe n’était qu’une petite chose fragile devant sa Joséphine. Elle a fasciné de tout temps les historiens, et c’était certes un sacré personnage, mais fallait il détailler leur relation de couple à ce point là ? Surtout que Sofia Coppola va bien y aller de son biopic un de ces jours non ?

Ridley a pondu son Napoléon cocu, ce qui est vrai, son Napoléon gros bébé qui pleure, ce qui ne l’est pas du tout. Mais on n’aura pas eu le Napoléon, stratège qui arrive au pouvoir, se sort des intrigues dans un panier de crabes XXL composé de Talleyrand, Fouché etc..... Toutes les décisions majeures qu’il prend semblent être dictées par le vent qui souffle dans son slibard. Qu’il parte faire la guerre et en revienne n’a qu’une seule cause : les faits et gestes de Joséphine rapportés dans les journaux. Putain de tabloïds.

On a en revanche droit à d’innombrables scènes où il met la pression sur Josy pour avoir un chiard, une scène en Egypte où il salope le toit d’une pyramide (parfait pour un trailer !), une scène en Russie où des pigeons lui chient dessus, et le reste du temps c’est Napoléon qui prend par derrière sa Josy et des scènes de batailles parce qu’il faut pas faire bailler le spectateur. On le remercie presque pour cela.

Le casting est complètement déprimant. Le Talleyrand est à chier, sans compter qu’on se heurte au problème insurmontable de la langue anglaise pour retracer un personnage français. Donc langue anglaise + absence d’esprit dans les dialogues = bérézina (ok 140 chroniqueurs l’ont fait avant moi.)

Ridley Scott a filmé Napoléon comme la créature dans Alien : une machine à tuer qui baisse la tête devant la femme censée lui apporter une descendance.

Si on pouvait ressusciter le Corse l’espace de 3 h pour lui montrer ce que 2024 retient de lui, nul doute que l’envie de terminer l’Albion le reprenne illico et qu’il profite de la confusion liée au Brexit pour parvenir à ses fins.

Et dire que Kubrick avait travaillé sur un film pendant des années, ça aurait été d’une autre volée (Dewaere en Barras, Pacino en Napoléon, là aussi la langue anglaise aurait posé problème cela dit). On va me dire que la version longue permettra de pallier ces manques, et de caractériser au mieux une figure aussi complexe, mais le film reste un objet complètement à côté de la plaque.

*Vous savez qui. Et ça n'a pas changé, Scott a du très bien vendre son script à Apple.

Negreanu
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le 9 févr. 2024

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