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Charlie Brooker n'y est plus. Les deux dernières saisons de Black Mirror le laissaient présager, mais son faux docu sur 2020 pour Netflix est le plus souvent consternant et confirme la mauvaise passe du touche à tout anglais, plus à l'aise avec la noirceur qu'avec l'art de la vanne.


Un mockumentary exempt de finesse, étonnant pour un type qui a su anticiper tellement de choses. Il ne parvient même pas à analyser correctement l'année qui vient de se terminer sous nos yeux médusés. Il avait pourtant un casting comique de rêve : Hugh Grant, Samuel Jackson, Lisa Kudrow, Kumail Nanjiani... et tous sont enfermés dans des personnages ultra caricaturaux : Ainsi Lisa Kudrow en conseillère de Trump qui fait le même gag EN BOUCLE (nier l'évidence qu'on lui présente sous les yeux). C'est plus ou moins marrant une fois - et encore, y a peu de décalage avec la réalité - mais au bout de la 5e intervention... tu satures. 


Y a un flot de vannes qui ne marchent jamais, pire, elles sont expliquées pour être certain que le con d'abonné Netflix ne passe pas à côté (Hugh Grant, en historien anglais qui présente ses références empruntées à Game of Thrones ou Star War (LOL), l'anglaise moyenne ultra débile etc... Est-ce une façon de placer les vannes les plus faibles ? Une tentative d'humour absurde ?


Au final le documentaire est vraiment mensonger, car les 3/4 du "mocku" parlent de Trump et de l'élection qu'il perd en fin d'année face à Biden. Ce n'est pas tellement l'événement que j'aurais choisi de mettre en avant pour symboliser l'année 20. La seule fois où Charlie Brooker daigne s'aventurer au Moyen-Orient c'est pour parler d'une opération militaire de Trump en Syrie. Mais ne s'est-il passé que ça dans la région pendant l'année ? Rien sur l'Etat Islamique ? Rien sur Bachar Al Assad ? Rien sur la Turquie ? Rien sur Israël ? Rien sur Poutine ? (Lisa Kudrow blague vaguement sur l'Ukraine en rapport avec le fils Biden, encore une cuisine électorale purement américaine qui n'a captivé que Brooker et ses congénères Hollywoodiens), les attentats en Europe à une cadence régulière ? Rien sur Epstein ? Les tensions sociétales aux USA ? Le débat est conclu en 4 secondes où une interlocutrice mentionne la polarisation de la société à cause notamment d'Internet, elle renvoie dos à dos les racistes et les SJW, en précisant qu'à terme il faudra bien choisir un camp. Mais il n'y avait pas plus de matière à plaisanterie sur cette polarisation ? Rien sur les campus américains en plein délire et qui manient la cancel culture comme une autodafé ? Sacha Baron Coen et South Park y sont parvenus. Brooker se contente de mettre une soccer mom raciste au dernier degré et Hugh Grant en anglais bourré d'a priori qui se lamente sur le fait qu'on ne puisse plus rien dire. Mais y a rien en face.


Peut-être que Brooker est rétif à l'idée de sortir la sulfateuse pour se payer les gens qui ont du pouvoir ou qui partagent son progressisme sélectif. Nanjiani en nabab de la nouvelle technologie se contente de s'offrir une montagne bunkerisée pour survivre en cas de fin du monde, et le gamin de Stranger Thing millionnaire grâce aux réseaux sociaux qui produit des vidéos ineptes partagées des millions de fois et facturées lourdement. C'est peu en comparaison des autres personnages lourdingues qui grappillent de trop nombreuses minutes. Pas de coup de griffes à ceux qui se sont fait du pognon durant la crise (et donc pendant la présidence de Trump). Au contraire, il y a même un clin d'œil complice sous forme de promotion à Netflix. Parce que reclus chez eux, les gens auraient pu se faire chier et virer suicidaires, heureusement qu'il y avait le streaming pour se taper l'intégrale de The Crown... Rien sur Elon Musk, ou Twitter, pas de vannes sur Jeff Bezos, le boss d'Amazon qui maltraite ses salariés, et saccage le secteur culturel depuis des années... Des bienfaiteurs de l'humanité certainement puisque démocrates ? On tire pas sur des compagnons ?


On a très vite fait le covid (peu de blagues sur les vaccins, peu de vannes sur les complotistes anti vaccin), BLM (les violences policières aux états unis sont brièvement abordées tout de même, mais pas les dérives qui en découlent), bref dans le monde y a eu des tas d'événements dignes d'intérêt, et le mec fait une 1h de vannes moisies sur Trump, alors que l'ex président a pas besoin d'humoriste pour se ridiculiser tout seul. On remarque une fois de plus un effet pervers à s'attaquer à certaines cibles. Trump était si radioactif qu'il amène souvent l'humoriste qui l'attaque à se montrer aussi risible que lui. Quand tu descends dans la fange avec ce type de mec, difficile de ne pas se tacher dans l'histoire.


Or il est très tentant de s'opposer à la figure de Trump pour se valoriser. Car il symbolise tellement de choses détestables (le culte de l'argent, l'inculture, la grossièreté, le racisme, le sexisme etc...) que s'afficher en négatif et s'opposer de manière ostentatoire vous valorise par la même occasion. Il nous fait endosser le rôle, au choix, d'un saint, d'un résistant humaniste qui n'écoute que son courage etc.. Alors que non. On peut très bien détester Trump de toute ses fibres, et apparaître tout de même comme un type stupide et vaniteux, la preuve. C'est un besoin que décrit admirablement Bret Easton Ellis dans son dernier livre. La détestation de la figure de Trump est une façon indirecte de dire "regardez-moi, je m'oppose à cette figure nauséabonde, avec panache, et de fait c'est un peu comme si je m'opposais à Hitler à en 33, non ?". Le besoin de marquer sa détestation haut et fort est dans certains cas un besoin narcissique, presque enfantin. Je crois que c'est le cas ici. 


Car aussi nul et néfaste soit-il, Trump ne mérite pas d'occulter tous les autres événements de 2020. Personne ne regrettera Trump, à part ses électeurs dingos au moins aussi enragés que certains de ses opposants. Et personne n'est digne de recevoir un médaille dans cette histoire. Les gens qui sont en désaccord avec sa politique, qui n'aiment pas le personnage qu'il surjoue, n'ont pas besoin d'être flattés par ce genre de programme. Une blague pas drôle, reste une blague pas drôle, peu importe si la cible mérite une volée de bois vert. C'est au contraire de mon point de vue un exercice plus difficile, car il faut éviter d'en profiter pour montrer sa belle âme au passage. C'est d'ailleurs le problème qu'on a en France avec certains comiques dont l'absence de talent est dissimulé (et trop souvent pardonné) derrière de nobles intentions.


On est loin de South Park ou de Who is america ? Je cite souvent ces deux exemples, car ce sont à mes yeux des réussites totales dans le genre auquel s'est essayé sans succès Brooker (et même Adam McKay). La satire sociétale anarchiste et sans attache. Des trucs drôles, libres et qui évitent de donner de leçons. Et surtout dont les vannes font mouche, car ces créateurs ne se positionnent pas en moralistes, ils laissent les spectateurs libres de leur jugement.


J'ai plus retrouvé cette année de folie dans l'incroyable comédie d'anticipation The Second Civil War de Joe Dante et qui date de la fin des années 90, que dans ce documentaire qui n'amuse que son auteur et ne sert qu'à lui donner une image de maquisard rebelle anti Trump... qui est déjà le plus grand sujet de plaisanterie de la planète.

Negreanu
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le 6 janv. 2021

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