À l’origine de Rocky, Graziano : même s’il ne l’a pas vraiment reconnu, Stallone n’a pas seulement baptisé son personnage en hommage à ce boxeur des années 40. Il est aussi allé puiser dans ce splendide biopic dû à Wise, qui avait déjà fait ses armes sur le ring avec le non moins fantastique Nous avons gagné ce soir.

Attaché à restituer la vérité, cautionnée dès le départ par Graziano lui-même, le récit s’attarde avec bonheur sur l’enfance et l’adolescence chaotique d’une petite frappe, condamnée dès le départ au cercle vicieux de la violence. Incapable d’intégrer une quelconque forme d’autorité, ne saisissant aucune chance lui étant donné, Rocky est aussi détestable que le monde dans lequel il évolue dépourvu d’opportunités réelles. Dans un New York où les bandes de voyous semblent annonce Il était une fois en Amérique, la descente aux enfers semble constante. C’est d’ailleurs là l’un des grandes qualités de ce regard, que de ne pas céder aux sirènes de l’hagiographie : Rocky est perdu, et le resterait sans l’intervention d’une communauté bienveillante se tissant autour de son talent, et au premier rang de laquelle on trouvera son épouse. D’abord effarée et dans le rejet de cette brutalité, elle commence par se faire violence pour l’admettre comme la seule thérapie possible pour l’homme qu’elle aime, avant de la dompter pour lui faire enfin relever la tête.

L’épouse, la mère, le manager d’un côté, le père détruit ou les anciennes mauvaises fréquentations qui viennent souiller la vedette de l’autre : sur un schéma tragique classique, Wise ne perd jamais de vue l’authenticité du personnage qui se débat avec ses démons et tente de se faire une place dans la société, parfois en dépit d’elle.

Des bas-fonds clair-obscur à la lumière du ring, Wise fait toujours autant de merveilles, et investit le champ des combats avec une dextérité que n’a justement pas son champion. Caméra subjective, multiplication des angles, énergie des mouvements, la syntaxe de la boxe au cinéma est posée, et il est nécessaire de le rappeler. Alors qu’elle est timide dans Rocky, on aurait tendance à croire que Scorsese a tout mis en place dans Raging Bull quelques années plus tard, alors qu’il doit beaucoup à Wise.

Enfin, on ne peut éluder la performance de Paul Newman, qui doit ce début de carrière à la mort prématurée de James Dean. Toute la palette complexe du héros torturé, qu’on retrouvera dans Le Gaucher et L’arnaqueur, est déjà à l’œuvre, et il se donne pour son rôle avec la même vigueur que Rocky cogne, sans stratégie ni filets, au profit d’une authenticité brute. On en oublierait sa gueule d’ange.

Si quelques échanges restent encore un peu théâtraux, n’oublions pas que nous ne sommes qu’en 1956 : Marqué par la haine, avec ce qui se fait de mieux pour l’époque en terme de comédiens, de photographie et de mise en scène, parvient à lier les enjeux sociétaux à la fébrilité du sport, l’épanouissement sentimental et filial d’un individu à l’extériorisation de sa violence : un uppercut du septième art.

(8.5/10)

Sergent_Pepper
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le 20 févr. 2023

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Sergent_Pepper

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