On peut admirer un artiste pour son travail. On peut admirer un réalisateur parce qu’il réussit à offrir d’excellents films l’un après l’autre On peut admirer un réalisateur parce qu’il arrive à nous faire ressentir une multitude de choses. On peut admirer un réalisateur par sa virtuosité, comment fait-il cela ? Comment a-t-il eu l’idée de cela ? On peut admirer un réalisateur parce que c’est un auteur complet, qu’il offre une œuvre couverte de thématiques, d’obsessions, d’interrogations, d’avis, de pensées… Et on peut admirer un réalisateur parce que, parmi tous les maîtres du 7e art, il nous parle. Il nous parle à nous, spectateur, mais il nous parle à nous, être humain.
J’ai compris devant Maps To The Stars, que David Cronenberg me rejoignait. Je sautais sur mon siège, oui, oui David, je te comprends, oui David je vois ce que tu veux dire, oui David, c’est ça, c’est ça !
C’est l’une des premières fois où la connexion entre moi et un artiste à été aussi forte, dépassant le cadre de l’art et du cinéma.


Maps To The Stars est donc –actuellement- le dernier film de l’auteur David Cronenberg. Canadien œuvrant depuis les 70’s dans le cinéma, il impose une filmographie brassant continuellement les mêmes thèmes, tout en offrant des variantes et des points de vue différents : les faux-semblants et la transformation (fantastique dans La Mouche, terre à terre dans A Dangerous Method), le contrôle, sa perte, et le hors contrôle (Scanners, Existenz), et surtout la violence (A History Of Violence, sans doute l’un des meilleurs films sur le sujet). Catalogué au début comme un acteur principal du cinéma de genre et d’horreur, le public à rapidement déchanté en voyant Cronenberg s’éloigner du latex et des makeup une fois rentré dans le 21e siècle. La critique même l’affublant d’une étiquette moqueuse, du genre « Mr. Body-Horror veut faire l’intello », ses derniers films avant Maps To The Stars, A Dangerous Method en 2011 et Cosmopolis l’année suivante sont accueillis de façon presque hostile.


Et en 2014, David Cronenberg revient au Festival de Cannes, 18 ans après son Prix Spécial du Jury pour Crash. Le film repartira avec le Prix d’Interprétation pour Julianne Moore.


Et qu’en est-il ?


Et bien David en a encore sous le capot.


David cache la violence de son sujet, la violence de son crachat sur ce microcosme qu’est Hollywood sous la couverture d’une réalisation posée, calme, comme le montre son générique avec la musique relaxante de Howard Shore (son compositeur fétiche). Car David livre l’un de ses films les plus fous, déchaînés, un gros doigt d’honneur. Mais il le fait calmement. Il ne déclenche pas un cri de rage aveugle et bêtifiant. Non. David le fait dans un certain calme. David le fait comme si il traitait quelque chose de commun. Quelque chose que l’on connaît. Hollywood. La fabrique à stars, les strass et les paillettes. On connaît. David va nous plonger la tête dans les WC dorés de ce monde rêvé.


Car Maps To The Stars est un film d’horreur. Un film d’horreur humoristique. Ou non, plutôt une comédie. Une comédie horrifique. Maps To The Stars aligne les freaks. Cronenberg aligne ses monstres, comme il alignait ceux du passé. Il fait son défilé de personnages cabossés, aliénés, perdus, torturés. David gratte le vernis de ses stars pour montrer les visages de ces rêves. Cachés, comme les marques d’Agatha Weiss sous ses gants, personnage le plus intriguant du film, joué par une formidable Mia Wasikowska. Ses gants évoquent donc les lourds secrets, la violence en dessous de ce monde de rêve qu’est Hollywood, en dessous de ce beau visage, de cette tête remplie de rêve. Agatha est l’allégorie d’Hollywood, David Cronenberg aimant créer des personnages métaphoriques (comme Viggo Mortensen sans A History Of Violence).
Le réalisateur offre alors son film d’horreur, où les monstres sont de vrais monstres ; des paumés bigleux et envieux, assoiffés de gloire, refusant le malheur commun. L’un de ses plus tristes représentants est Havana, actrice qui prend peu à peu l’eau, qui refuse de vieillir, hantée, chancelante. Et jouée par une Julianne Moore ahurissante, offrant une performance extrêmement réussie, faisant couler son personnage dans un ridicule et un grotesque qui implore presque la pitié du spectateur. Sous la caméra de Cronenberg, elle est la créature la plus triste, filmée comme le personnage quelconque qu’elle se refuse d’être (le spectateur la voyant même sur ses toilettes, la plaquant dans la bouffonnerie). Elle est le personnage victime, celle qui fait le moins, celle qui n’avance pas. Même dans son traitement, elle n’avancera pas.
Chaque personnage est ainsi un membre de cette triste parade de cannibales, incapables de vivre normalement ou en société (en témoigne le personnage du jeune garçon star incarné par un très bon Evan Bird avec deux des scènes les plus marquantes du film, dont l’une évoque par ses plans A History). Bienvenue dans le royaume des fous comme on dit.


Maps To The Stars est une comédie parce que le réalisateur aligne sur son échiquier une bande de dégénérés, de vrais bouffons. Trop bêtes, trop naïfs. Le film déclenche le rire, un rire nerveux, sur des situations grotesques. Mais Cronenberg ne tombe jamais dans la caricature. Tout comme avec sa violence, il insuffle une retenue qui fait du film une bombe à chaque fois sur le bord d’exploser dans la farce. Il agite ses marionnettes, aveugles de leur bêtise et de leur ridicule.


L’auteur renvoie donc à ses thèmes habituels ; l’aliénation, la métamorphose (on peut notamment parler de la métamorphose des situations des personnages, se transformant aux yeux du spectateur au vu du développement des intrigues scénaristiques), et surtout la violence.


Et c’est ça, qui m’a fait me rendre compte que Cronenberg me parlait.
Maps To The Stars est une œuvre maladroite, et n’a pas bénéficié du budget mérité (les effets spéciaux des flammes par exemple, son ignobles). Mais quand un film me parle autant, je ne regarde pas à ça.
Je me retrouve dans Maps To The Stars. Je me retrouve dans ses sujets, dans sa manière de les traiter. Je me retrouve dans l’amusement qu’a eu David à agiter ses marionnettes, dans un vrai film de genre. David ne faisait pas du cinéma de genre. Il faisait son cinéma. Il fait son cinéma. A Dangerous Method trône bel et bien à côté de Scanners. Il a toujours fait ses œuvres, il a continué son œuvre. Il est juste passé d’un genre à l’autre. Et peu importe le flacon, pourvu qu’on ai l’ivresse. Et David le fait. Il nous offre encore une fois ses thèmes servit dans un autre moule. Ses pensées, ses idées, qui dans ce moule amène des variantes tout autour. Il ne fait pas le même film. Il crée des objets gravitant autour de ses obsessions. Maps To The Stars n’a rien à envier des visions cauchemardesques de Naked Lunch, des réflexions de A Dangerous Method, du jeu d’Existenz. Synthèse de son œuvre, mise dans son canon en direction d’Hollywood. Il frappe l’usine à rêve dans les gencives, tout comme ses œuvres ne correspondaient pas au carcan habituel.
Maps To The Stars est une caricature sans l’être, un film d’horreur inavoué, et une comédie cachée. C’est une œuvre féroce et folle, riche en analyse et à la réalisation forte en jeux et en symboles. Je vais jusqu’à dire que dans le fond, c’est l’une des œuvres les plus abouties de son réalisateur.


Maps To The Stars est maladroit, mais m’a atteint dans le cœur. C’est ça, le cinéma qui me parle. Et cet auteur m’a parlé. David me parle. Ses thèmes, ses traitements, ses films… L’homme qui montre la violence comme une maladie. Pour moi c’est immense. Pour moi c’est important. Pour moi, c’est comme si je dialoguais avec quelqu’un et que nos avis se rejoignait.


La première fois que j’ai vu Maps To The Stars, j’ai revu le lendemain A History Of Violence, sortit en 2005, que j’avais beaucoup aimé lors de mon premier visionnage. Et le déclic s’est fait ; Cronenberg me parle avec ses films, et je le comprends parfaitement. J’admire cet auteur parce que je sens une connexion entre lui et moi, entre le spectateur que je suis et l’humain que je suis avec les valeurs et les pensées que j’ai. Les choses qui me touchent. J’ai l’impression d’avoir le même ressenti que lui. Je veux faire des films qui parlent de ces choses avec la même force, la même justesse, la même virtuosité que lui. Mais seul David sait jouer à ce jeu, son jeu. Et je dois ce déclic à Maps To The Stars. Le film qui parle de cinéma. Merci, David.

MadeAWasp
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le 21 juil. 2017

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