Le texte qui va suivre n'est pas du tout une critique. Après avoir écrit ces ressentis et impressions il y a quelques mois, j'avais voulu l'envoyer quelque part, mais j'ai décidé aujourd'hui de le poster ici. Ce n'est pas une critique d'Eraserhead, ni une "analyse" du film, mais c'est avec lui que j'ai écris cet espèce de ressenti sur une idée dans/de l'art de David Lynch.


Quand on demande à David Lynch comment fait-il pour s'y retrouver dans les idées qu'il attrape, vers quelle idée aller, il répond tout simplement « Love ».


Lynch est un amoureux. Des idées, des univers. C'est un amoureux dans l'art et dans la vie. Tout repose sur l'amour.
Malgré ce que diront les pseudos-sombres et les pisses-froid, l'amour, l'Amour est le thème universel, la plus grande source d'inspiration dans l'art et la vie. Il s'y retrouve partout. Et tout comme dans sa vie, dans les innombrables facettes de l'oeuvre et des oeuvres de David Lynch, l'Amour y a une place incroyable. La plupart de ses morceaux sont de purs chansons d'amour fantastiques. J'irai même jusqu'à dire, en lisant, mettez She Rise Up, Ghost of Love, ou même I'm Waiting Here avec Lykke Li.


J'ai arrêté de m'intéresser aux analyses après être tombé amoureux de Lynch et de son art. Parce que je les voyais désormais comme des moyens de se rassurer sur ce que l'on ne comprends pas, je voyais des étiquettes et des dissections qui visent à écrire et nommer, à mettre dans des cases plutôt que de se laisser emporter, de se laisser vivre en tant qu'humain, qu'individu unique dans une oeuvre. « Jouer » au regard objectif, quitte à laisser de côté ce que l'on a vécu d’indescriptible. L'analyse sert à expliquer, et moi, j'aime bien au final, qu'on ne m'explique pas, comme David.
Vouloir/prétendre déconstruire Mullholand Drive, expliquer ce que raconte et veut dire Inland Empire... Je n'aime pas. C'est tenter de faire des calculs plutôt que de laisser le film, l'auteur, et le spectateur aussi, s'exprimer. L'art va au-delà des mots dans ce qu'il procure et nous amène. Lynch ne crée pas selon des symboles. Et quand on tente d'analyser et d'expliquer via des symboles, on crée des calculs. Ça + ça = ça. Faire rentrer des visions dans une case et la nommer.


Ce qui suit ne sera donc pas une analyse. Ce sera l'expression de quelque chose que j'ai pensé, sans prétention, aucune.


L'Amour se retrouve partout chez Lynch, dans son cinéma mais aussi ses travaux plastiques (le nombres de peintures ou de lithographies parlant d'amour sont innombrables – I Write On You Skin How Much I Love You -2010). A Twin Peaks, les histoires de coeur et de désir sont si nombreuses.. « Just You and I », comme la chanson.
Moi, je voulais surtout parler d'un dérivé de ce terme. Si le Désir, parfois beau, parfois effrayant, lui aussi prédomine dans son cinéma, il y aussi quelque chose de tout particulier, et dont on parle peut-être peu : le désir d'être aimé.


Dans Eraserhead, les relations entre Henry Spencer et sa fiancée, Mary sont toutes étranges. Il se retrouve à vivre ensemble, mais sans amour. Au détour d'une nuit, Henry tente de poser sa main sur l'épaule de Mary. Elle sursaute et refuse dans un sens. Je me suis toujours demandé si c'était une demande d'affection, ou une demande de désir. Plus tard, quand Mary n'est plus installée ici avec lui, La Jolie Fille du Couloir et Henry ont une aventure. Là-aussi, je me suis toujours dit que c'était une demande assouvie d'Henry, un désir assouvi. En le revoyant, lors qu'après cette nuit (et ce cauchemar?), quand nous revoyons avec Henry la Jolie Fille, elle est avec un homme et la suite de leur nuit semble évidente. Un plan sur elle, puis un plan sur Henry : elle, elle voit la tête du bébé monstrueux à la place d'Henry. Et si c'était elle, qui voulait combler un désir de chair, et qu'Henry, lui, ne voulait qu'être aimé le temps d'un moment ?


Eraserhead me paraît comme un film sur le mal-être, tout comme Fire Walk With Me le sera, un immense film sur le mal-être d'un être vivant déjà condamné.
Lynch a un don fou, ahurissant pour montrer, illustrer le mal-être, ces impressions dégoûtantes, sales et qui se cramponnent à la gorge. Mulholland Drive et sa fin. Fire Walk With Me, encore et toujours. Jeffrey, dans Blue Velvet, qui fond en larmes après s'être fait tabasser, après s'être rendu compte de l'univers dans lequel il a pénétré.
Dans Eraserhead, les relations sont abstraites. On se cramponne à Henry, mais même lui semble perdu, toujours perdu dans cet univers. On ne peut pas se raccrocher à la vie de couple du père et de la mère de Mary, qui aurait pu être un espèce d'exemple. Même là, c'est mort, c'est moisi. La scène où la mère d'Henry tente de « l'embrasser », là aussi, répond à une espèce de pulsion, face à Henry qui ne sait quoi faire. Tout est déréglé.


Henry n'a pas de pulsion. Henry aimerait seulement qu'on le reconnaisse, et qu'on le désire, plus qu'on ne désire une nuit avec lui, plus qu'on ne désire une vie de famille idyllique (et donc fausse) avec lui. Et si, Henry voulait qu'on voie ce qu'il traverse ? Et si, il voulait qu'on le reconnaisse, qu'on reconnaisse les problèmes qu'il vit, qu'on reconnaisse sa solitude, même pas en temps que père avec un enfant difforme dans les bras. Mais comme quelqu'un de tout seul qui n'a pas envie d'être seul ?


Eraserhead se finit en plus sur l'une des plus belles, des plus belles images que Lynch ait créé. Une fin venue en plus comme un flash pour lui, en remplacant une autre.
Eraserhead se finit avec la Dame dans le Radiateur qui arrive, et enlace Henry. Le visage de la Dame est resplendissant, un sourire, une émotion, quelque chose de si fort si beau si vrai. Si doux. Le visage d'Henry est différent. Un mélange de... d'abandon. Et de soulagement. Ça y est Henry. Tu n'es plus seul. Tu es là, enveloppé, dans des bras. Tout brille tout s'illumine.


Le film suivant de Lynch parle encore plus de ce désir d'être aimé. John Merrick dans Elephant Man, c'est quelqu'un qui veut juste ne plus être seul. C'est quelqu'un qui veut que des gens aie envie de le voir pour son être, pas pour son extérieur. Il ne veut pas être une bête de foire ou une curiosité médicle et physique, une attraction, que ce soit à l'hôpital ou dans le freak-show. Il veut être aimé. C'est peut-être le film de Lynch qui explicite le plus cette chose, cette volonté et ce désir, que certains dans l'entourage de Laura Palmer ne comprennent pas, médisent. Qu'on la prenne pour telle ou telle chose. Alors que c'est toujours cette même chose. Je pourrais répéter cette suite de mot, vouloir être aimé, vouloir être désiré, car elle parle d'elle-même, mais le mal-être que cette idée peut engendrer peut virer à l'abstrait, à une explosion gigantesque et atomique, à une suite de ratures violentes et sales toutes noires qui recouvrent tout le blanc.
Vouloir être aimé, et avoir l'impression qu'on est seul, seul, complètement seul, c'est un nid à angoisse. C'est se dire qu'on est rien, que si l'on disparaît, comme Laura, comme Fred Maddison dans Lost Highway, ce sera peut-être mieux. Se sentir invisible au milieu des autres, au milieu des histoires des autres, parfois laides mais où là, là, ils sont aimés, se sentir tout seul, tout mort, si seul, si vide au milieu d'un tunnel sans fond, dans une pièce rouge dont on ne peut pas sortir, abstraite, écrasante. Seul, tout seul, sans que personne ne vienne. Sans que Dale Cooper ne vienne nous chercher, en noir et blanc, dans les bois.


«When this kind of fire starts, it is very hard to put out. »
(La Femme à la Bûche à Laura dans Fire Walk With Me)


Et ils sont nombreux chez Lynch à vouloir être aimés. D'Audrey Horne avec un bel agent du FBI, à Fred Maddison qui court à perte de vue et d'identité car lui ne désire plus et n'est plus aimé.


Il n'y a pas de finalité ou de solution à ça dans les films de Lynch. Tenter de résoudre cette volonté paraîtrait même trop peu honnête par rapport à ce que nous vivons hors film. Il faudrait, alors, en tout cas, moi c'est ce que je fais, revoir la scène de Blue Velvet où Sandy raconte son rêve.


« I had a dream. In fact, it was on the night I met you. In the dream, there was our world, and the world was dark because there weren't any robins and the robins represented love. And for the longest time, there was this darkness. And all of a sudden, thousands of robins were set free and they flew down and brought this blinding light of love. And it seemed that love would make any difference, and it did. So, I guess it means that there is trouble until the robins come. »


Après, quand est-ce que les rouges-gorges viendront, c'est autre chose. Alors, avant d'angoisser devant cette nouvelle question, qui est comme une porte après une porte dont on s'est épuisé à trouver la clé, un rideau rouge après un autre, on, moi, on revoit tout Lynch en se disant que, alors qu'il illumine tout, qu'il rayonne et que son être est d'une lumière infinie, face à la noirceur des idées qu'il peut attraper, en se disant que... en se disant qu'un être sur cette planète à su retranscrire tout le noir et le bruit qui détruit quand quand on ne se sent pas désiré, quand on ne voit personne qui nous aime, qu'il a su le retranscrire avec une beauté et une force ahurissante. Qu'il l'a retranscrit avec une vérité ahurissante elle aussi. Et que lui, il illumine. Lui, d'une lumière si inspirante et chaleureuse, au milieu de ses créations si sombres et tortueuses.


Alors attendons, retrouvons nous dans la petite chambre d'Henry avant que la Dame dans le Radiateur arrive pour nous enlacer, et que les rouges-gorges s'envolent.

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le 11 févr. 2021

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