L'enfer est pavé de bonnes intentions

Vous avez aimé "Dogville", l'oeuvre la plus dépouillée en décors de l'histoire du cinéma ? Alors il y a de fortes chances que vous aimiez, voire adoriez "Manderlay", qui, pour moi, fait partie de ces rares suites qui surpassent en qualité le premier opus. Si l'on excepte l'absence au casting de Nicole Kidman (pas trop regrettable pour ma part), le principe reste le même : une sorte de théâtre filmé où les acteurs, munis simplement de leurs costumes et de quelques accessoires, ont la lourde tâche de vous captiver pendant plus de deux heures sans que vous vous rendiez compte qu'ils ne jouent pas en Alabama mais uniquement en studio. Et ce qui est fou, c'est que même si, cette fois, le procédé ne surprend plus par son originalité, comme cela avait pu être le cas dans "Dogville", il fonctionne encore à merveille. Il y a de quoi se poser des questions sur l'utilité des décors au cinéma finalement, mais passons. Grace débarque donc au domaine de Manderlay, où elle s'aperçoit que la maîtresse de maison pratique encore l'esclavage alors qu'il a été aboli depuis des lustres. Se sachant perdue, ladite tenancière trépasse le soir de son arrivée, et Grace en profite pour instaurer davantage de justice à Manderlay en libérant les noirs de leur oppression.

Mais avaient-ils envie d'être libres, ces esclaves ? Etaient-ils vraiment préparés à cette révolution dans leur mode de vie ? Armé de ces questions dérangeantes, Von Trier tisse un scénario machiavélique autour des mécanismes de la démocratie qui, heureusement, ne sombre à aucun moment dans le nauséabond, car il n'épargne personne. De la petite blanche fille de gangster un peu trop candide qui tente de se racheter une conduite au patriarche noir doté d'une conception très personnelle de l'autonomie de son clan (excellents Bryce Dallas Howard et Danny Glover), tous les occupants des lieux possèdent une part d'ombre ou de mystère qui rendent leurs relations fascinantes, inquiétantes ou troublantes. Entre faux-semblants et actes aux conséquences insoupçonnées et parfois dramatiques, "Manderlay" met en avant, grâce à son absence de décors, la cruauté froide et implacable qui régit parfois les relations et les destinées humaines, car il vous oblige à vous concentrer sur les personnages, et uniquement sur eux. Evidemment, la présence de la fameuse voix off si décriée par les détracteurs n'arrange rien, accentuant le côté "documentaire / expérience sociologique" de la chose (voix off qui se paye même le luxe de commenter, à un moment, une scène d'onanisme impliquant l'héroïne... Encore le côté provoc' du vilain Lars). Bref, je suis conscient d'avoir une affinité particulière pour ce réalisateur, mais je pense être totalement objectif, comme lui l'est tout au long du film, en déclarant que c'est encore une fois un sacré tour de force que de parvenir à captiver un spectateur du début à la fin avec une telle propension pour le minimalisme, à l'heure où le cinéma se doit d'être toujours plus impressionnant. Un must des années 2000, qui vous rappelle sans état d'âme que l'enfer, c'est bien souvent les autres.

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le 1 mars 2015

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Psychedeclic

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