Après la petite somme que représentait Douleur et Gloire, où, pour une fois, la part belle était aussi accordée à l’homme, Almodovar revient à une formule qui fait sa patte depuis des décennies : un mélo alambiqué où les figures féminines s’entrecroisent, mises à l’épreuve par la vie, la culpabilité, le poids du passé et la responsabilité maternelle.


Les amateurs retrouveront avec ferveur la patte du cinéaste espagnol, dans un film qui, une fois encore, sert d’écrin au talent de Penélope Cruz, femme forte et lumineuse, âme en peine et militante. Et pour donner pareille trempe à son héroïne, le réalisateur ne ménagera aucune piste romanesque.


Le récit commence ainsi par une incursion dans le lourd passé de la guerre civile, les centaines de fosses communes en attente d’excavation pour construire une mémoire qui ne passe toujours pas. Cette entreprise familiale est ensuite délaissée au profit d’un présent plus immédiat, à travers sa grossesse accidentelle et la manière dont elle va devoir faire combiner vie privée et professionnelle, tout en laissant de côté un père marié de son côté.


Les hommes sont donc systématiquement relégués au second plan : démissionnaires ou absents, et ce de génération en génération, ils sont la zone d’ombre avec laquelle les femmes composent. L’exposition, un brin laborieuse, tisse donc des fils entre les béances du deuil, de la mémoire et de l’absence, pour construire un fil conducteur autour de la transmission et des silences qui, irrémédiablement, viennent s’y greffer.


Ces enjeux semblaient néanmoins insuffisants pour Almodovar, qui compte bien renouer avec les grandiloquences du mélo, où les dilemmes tragiques côtoient le trop plein du soap. Car Madre paralelas semble condenser une saison entière de télénovelas en 2h10, densifiant jusqu’à outrance les situations.


Si l’on résume :


une femme, tout en enquêtant sur ses ancêtres victime des phalangistes, se retrouve enceinte, accouche avant de prendre conscience que son enfant a été échangé avec sa voisine de chambrée, à qui elle omet de révéler la vérité lorsqu’elle prend conscience que sa fille (donc, la sienne) est morte en bas âge, tout en l’engageant comme nourrice pour sa propre fille, et, tant qu’on y est, entamant une relation amoureuse avec elle alors que le père de sa fille (mais qui donc ne sait pas qu’en fait ce n’est pas la sienne et qu’elle est morte) revient vers elle après avoir quitté sa femme qui s’est remise d’un cancer.


Oui, oui.


Le problème n’est pas tant le caractère poussif de tous ces arcs que la manière dont chacun semble déterminer son propre genre : on passe du film historique au portrait de femme, d’un film à thèse féministe au thriller hitchcockien, voire quasi De Palmien lorsqu’on commence à s’amuser avec une webcam sur le berceau pour un écran en abyme. Almodovar, toujours talentueux dans ses cadres et son travail sur la vivacité des lumières et des couleurs, nivelle néanmoins son regard avec une platitude étrange, et la force émotionnelle qu’on trouvait dans ses précédents films ne parvient pas à affleurer, n’en déplaise aux violons appelés régulièrement en renfort pour nous y faire succomber. Quelques expériences un peu poussives (gros plans insistant des doigts scrollant la souris, fondu au café noir…) alourdissent encore une partition dans laquelle le jeu de Milena Smit ne convainc pas toujours, coincée dans une sorte d’incompréhension forcée des enjeux. Il restera néanmoins à son personnage un moment de lucidité, lorsqu’elle affirme à Janis : Tu as trop compliqué les choses. On allait le dire, mais au film tout entier.

Sergent_Pepper
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le 3 déc. 2021

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