Souvent, 東邪西毒 Les Cendres du Temps (dont le titre international n'a rien à voir avec le titre original, mais vu sa complexité à traduire et au vu des références, ce choix de titre international n'est probablement pas si mauvais), est considéré comme un film difficile à saisir. Le film a même d'ailleurs mené à bien des problèmes financiers pour 王家衛 Wong Karwai. Tout d'abord au moment de son tournage, au point qu'il ait été obligé de produire une parodie avec 劉鎮偉 Jeffrey Lau à sa réalisation, 射鵰英雄傳之東成西就 The Eagle Shooting Heroes, qui au demeurant est parmi ce qui se fait de mieux dans les parodies de ce genre. Et de même, à sa sortie, il a eu bien du mal à rentrer dans ses frais. Pourtant, si on est attentif, d'accord, il faut peut-être un deuxième visionnage, mais ce film n'est pas si compliqué dans son propos, d'autant que ce n'est pas forcément ce qu'il y a de plus important dans cette œuvre.


En premier lieu, c'est une déclaration d'amour à 张曼玉 Maggie Cheung (en fait inutile de chercher plus loin le pourquoi d'une note aussi élevée pour moi, tout le reste ce n'est que du blabla d'une certaine manière). Elle a beau n'apparaître qu'une quinzaine de minutes dans le film, néanmoins elle hante l'ensemble du film. Son souvenir hante le personnage principal en exil qui a l'impression de la voir, de la retrouver, au travers de toutes les personnes qu'il croise dans son auberge dans le désert (et tous sont des personnages tirés du roman de 金庸 Jin Yong, 射鵰英雄傳 La légende du héros chasseur d'aigle, bien que l'histoire du film ne soit relié que d'assez loin à celle du roman).


Ces rencontres sont l'occasion pour Wong Karwai de mettre au mieux à profit tous les jeux sur la temporalité et les ellipses qu'il affectionne tant expérimenter dans ses films, passant d'un personnage à l'autre, chacun rencontrés au fil des saisons rythmant le temps qui passe, tous liés les uns aux autres par les sentiments qu'ils se portent et qui sont mis à l'épreuve. Tout cela avant de terminer sur la relation entre 歐陽鋒 Ouyang Feng, le point central de toutes ces rencontres, joué par 張國榮 Leslie Cheung, et celle qu'il aime dont le souvenir est si proche, mais la présence si lointaine, incarné par la fameuse Maggie Cheung.


Ainsi, chacune des petites histoires s’appuient sur les différences de jeu de l'ensemble des grands noms prenant part à ce film, quoi que clairement dominés par ce couple, que jouent Leslie Cheung et Maggie Cheung, irréconciliable et pourtant dont l'histoire d'amour irrigue le film. Il y a aussi ce travail sur le désert (souvent tournés en Chine continentale) que l'on retrouve dans quelques 武侠片 Wuxia pian au ton très différent, mais très souvent de qualité de Hongkong, voire de Chine continentale du début des années 1990, avec cette sueur, ces grains de sables, ce soleil qui tape, les éléments qui se déchaînent et envahissent le cadre donnant un effet de sécheresse, d'âpreté d'un lieu reculé d'une Chine ancienne instable, à l'image des sentiments des personnages. Et au-delà de cela, le très beau thème musical par 陳勳奇 Frankie Chan permet une belle illustration de l'évolution de l'état mental des protagonistes.


Pour chacun d'entre eux, ces lieux d'exils désertiques ou montagneux sont des lieux d'introspections. Et chacun d'entre eux, par leurs différents destins (de sacrifice, de rédemption, de déni, d'acceptation et d'oubli) rappellent à Ouyang Feng ses échecs passés. Et justement pour le spectateur qui le suit cela ne peut que pousser à l'introspection (et à tomber amoureux si ce n'est pas déjà fait de Maggie Cheung et de son aura divine et ainsi de sortir un moment de la dépression... bon ok là je m'emballe un peu dans cette parenthèse) mais aussi à illustrer cette phrase du canon bouddhiste cité en début de film et qui le résume en quelques mots certes probablement bien mieux que mon texte déjà un peu trop long et pompeux :


« Le drapeau est sans mouvement, le vent ne souffle pas, c'est seulement le cœur des humains qui est en tourment ».

Noe_G

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