Même s’il n’est pas aussi approfondi que ne le sera In The Mood For Love six ans plus tard, Les Cendres Du temps marque déjà l’empreinte indélébile d’un réalisateur ayant décidé de consacrer sa carrière de cinéaste à promouvoir la beauté poétique de sa culture. On retrouve tout ce qui fera le succès de son plus beau film à ce jour, d’un énorme travail plastique, à la poésie du propos en passant par les prémices d’une musique enivrante et ici proche d’une ambiance de western spaghetti. Wong Kar-Wai filme comme un cinéaste contemplatif qui ne se veut pas ennuyant, même s’il y parvient moins ici que dans d’autres films.

Pour évacuer le principal défaut de l’œuvre, il est impossible de ne pas aborder la narration qu’il n’a pas voulue linéaire et qu’il ne parvient pourtant pas à maîtriser totalement, créant parfois en ennui certain du spectateur qui, perdu dans les méandres et les aller-retours de l’histoire, perd le fil narratif et du même coup l’intérêt qu’il pouvait accorder aux personnages. Cette lacune est vraiment un poids mort que traîne le film qui explore pourtant un univers tout à fait différent des histoires d’amour dont Wong Kar-Wai se révèlera par la suite un des maîtres absolus.

Car c’est un monde de légendes médiévales qu’il met ici en scène, celui de tueurs à gages au sabre, de breuvages magiques, de batailles homériques et de femmes toutes plus belles et rebelles les unes que les autres. On reprend par ce biais l’intérêt qu’on avait pu perdre avec la narration tant Wong Kar-Wai donne à voir un univers fantasmé, si proche du réel et pourtant si éloigné. La poésie est présente dans chacun des plans qui, déjà, sont d’une beauté époustouflante. Certains spectateurs ont été déconcertés par les filtres utilisés, ces derniers donnent pourtant un aspect pictural étonnant, l’impression d’un film peint sur la pellicule, le résultat transporte au-delà du rêve et aucun doute, de ce côté-là il a obtenu ce qu’il souhaitait. Il est probable par contre que la bande originale omniprésente aura tendance à agacer, mais elle s’avère pourtant indispensable à maintenir le frêle équilibre d’un monde de sensations et de sentiments.

Ce film confirme l’impression que le cinéma Wong Kar-Wai se ressent plus qu’il ne se regarde, qu’il fait appel à notre goût de l’abstrait, du subjectif. Il essaie de nous faire sortir d’une certaine torpeur, d’une certaine lassitude qui, film industriel après film industriel, a fait de nous des spectateurs blasés, souvent incapables d’être surpris et impressionnés par autre chose qu’une surenchère numérique.

Wong Kar-Wai est un grand poète avant tout, un poète à qui on aurait confié une caméra en lui demandant de filmer des vers car oui, il filme en vers et fait rimer les sentiments humains. La colère, l’amour, la haine, l’envie sont ses alexandrins. Il récite son film avec toute la conviction de l’auteur qui chérit l’œuvre qu’il vient d’enfanter et comme tout créateur, il tentera de faire mieux création après création.
Jambalaya
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le 11 avr. 2013

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