Dans Suzanne, Katell Quillévéré travaillait déjà la question des ellipses en retraçant le parcours de deux sœurs sur une vie constellée de drames et d’occasions manquée. Le temps d’aimer reprend le même dispositif, mais avec une ambition plus grande, déjà révélée par l’emprunt d’une partie du titre au chef-d’œuvre du mélodrame de Douglas Sirk : prenant sa source à la Libération et s’étalant sur 20 ans, le film va en effet en reprendre les codes. Amours impossibles, secrets de familles, blessures indélébiles vont jalonner les destinées d’un couple qui veut croire à la rédemption par l’autre, sans que la magie ne puisse réellement opérer.


L’académisme guette un peu la réalisatrice pour son quatrième long métrage, qui travaille la reconstitution historique et grime son très bon duo (Anaïs Demoustier et Vincent Lacoste) à travers une galerie de looks changeants selon les modes et la progressive libération des mœurs. Un segment, celui de la gestion du dancing à Chateauroux à proximité d’une base militaire américaine, permet de dévoiler un véritable savoir-faire esthétique : le mariage du jazz, des éclairages au néon et de l’ambiance virile où le trop plein d’énergie oscille entre les bastons générales et le sexe sans entrave occasionne de très belles séquences, qui parviennent à capturer les élans contradictoires des protagonistes.


L’idée de suivre l’euphorie des Trente glorieuses comme levier vers l’épanouissement de deux personnes murées est intéressante, surtout lorsqu’elle débouche sur une désillusion au long cours. L’acrimonie et le désamour d’une mère, le refoulement d’un époux empoisonnent un ménage dont les fondations semblent irrémédiablement fragilisées. Mais Katell Quillévéré veut tresser de trop nombreux fils, et les dernières évolutions de son drame tendent à la dispersion. Le destin du personnage de Lacoste, s’il aborde des questions cruciales sur le regard d’une société encore ultra-conservatrice, s’égare dans des excès romanesques un peu poussifs. Les retrouvailles avec une véritable émotion dans la séquence finale montrent qu’un sujet, plus modeste et resserré, était bien présent dans un récit qui n’a pas réussi à lui donner sa juste place. Un élément probablement volontaire, puisqu’il est en écho direct avec le rôle d’une mère qui ne sait que faire d’un enfant passant son temps à fuir, à la recherche d’un repère qu’on lui refusera très longtemps.

Sergent_Pepper
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le 1 déc. 2023

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