La France, il l'aimait et pourtant il a dû la quitter...


Comme ça du jour au lendemain, contraint et surtout forcé par le début de la guerre, le nazisme, la ligne Maginot, Pétain...enfin tout ça quoi !


Il est donc parti, exilé, vers le nouveau monde tout en espérant conquérir Hollywood ! Ce qui, au fond, est une chose plus facile à faire que l'on croit, surtout lorsqu'on a du talent. Le temps d'ériger la lettre d'une inconnue et le voilà nommé chantre du romantisme ! Ah, c'est bien joli tout ça mais que connaissent-ils à l'amour, eux, les Ricains ? L'amour à Hollywood, ce sont les grands mélodrames, flamboyants, lyriques comme "Gone with the Wind"! C'est beau mais c'est de l'amour comme on en voit qu'au cinéma. Ça ne se passe pas comme ça, dans la vraie vie ! L'amour, le vrai, ne se trouve que dans la vérité et la pureté. C'est sa philosophie et il veut la claironner haut et fort dans son prochain film. Mais il ne peut faire cela aux States car il craint de se sentir pris au piège d'un système qui ne lui ressemble pas, il est insatisfait et désemparé par ce qu'on lui propose. Il ne peut donc que retourner en France, ce pays qu'il aime, pour pouvoir enfin parler de l'amour comme il l'entend. Et ainsi, la boucle peut enfin être bouclée. Logique, non ? Son film, "La ronde", évidemment !


Pour parler de l'amour simple, ou simplement de l'amour, il décide d'adapter la pièce d'Arthur Schnitzler et de structurer sa narration à la manière d'une ronde où l'on suit, de saynète en saynète, le chassé-croisé de divers personnages, formant des couples éphémères qui se font et se défont au rythme des occasions. C'est simple, c'est limpide et c'est rythmé avec une précision d'horloger suisse. Enfin viennois plus exactement, car pour mettre en scène les péripéties de l'amour, il ne pouvait trouver meilleur théâtre que la Vienne impériale, empreint de féerie et de nostalgie, où dans un même mouvement de valse se mêlent vies sentimentales et élans charnels. L'amour ainsi, telle une maladie épidémique, semble se transmettre de personnage en personnage et comme l'intégrité de la ronde est intacte, il peut perdurer éternellement.


Certains diront, à la sortie du film, que celui-ci est empreint d'une vision fortement cynique, faisant l'apologie du libertinage au détriment du romantisme. Mais où sont les sentiments, là-dedans ?

Le ton est cynique, certes, réaliste aussi mais finalement pas désabusé. Car ce film est avant tout profondément humain, il parle d'hommes et de femmes ordinaires, quels que soient leur statut social, leur âge ou leur caractère. De la prostituée au comte, de la jeune fille en fleur au vieux mari blasé, ils sont tous égaux devant la tragédie du désir. C'est l'histoire de tout le monde comme le dit la chanson. Et puis, l'humanisme du cinéaste se devine à travers les actions du meneur de jeu, son représentant, dans sa façon de ménager, de prévenir, de réconforter ses différents personnages. Et puis, ces derniers ne sont jamais jugés, loin de là, c'est toujours un regard bienveillant et plein de tendresse qui est porté sur eux.


Alors bien sûr la passion amoureuse n'est pas aussi romanesque qu'à Hollywood, on n'est pas dans "Gone with the Wind"... La frénésie des rencontres fait que nous n'avons pas le temps de nous attacher aux personnages et d'être forcément ému par leur destin. Tout cela est vrai mais il ne faut pas pour autant oublier la formidable résonance poétique qu'a le film sur nous. Dans sa façon de mélanger habilement les différentes strates de la société, dans sa manière de lutter contre la recherche d'un bonheur illusoire, car inévitablement effacé par le temps, le film rappelle en chacun de nous combien il est important de jouir du présent car "l'avenir est inconnu et le passé mélancolique". On parle de désir, de sentiments, de plaisir charnel, mais on ne tombe jamais dans le graveleux car l'important réside dans les intentions, la recherche de la vérité et de la pureté en toute chose et en toutes circonstances. Même les plus éphémères.


Gérard Philipe, Simone Signoret, Simone Simon, Danielle Darrieux, Serge Reggiani, Daniel Gélin, Fernand Gravey, Jean-Louis Barrault, Odette Joyeux, Isa Miranda, Anton Walbrook et bien sûr Max Ophüls ; ils sont tous là pour vous inviter à entrer dans la ronde et profiter du tourbillon de la vie.

Créée

le 27 août 2023

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Procol Harum

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