Bien décidé à faire tomber le mâle de son piédestal, Men multiplie les chutes à hautes teneurs symboliques : chute d’un homme que l’on apprendra violent du haut de son balcon, chute des akènes d’un pissenlit emportés par le vent à travers la campagne, chute de ces mauvaises graines dont les multiples floraisons envahissent aussi bien les terres fertiles que l’esprit des femmes. En prenant le parti de l’horreur folklorique, en lorgnant ouvertement du côté du fameux Images de Robert Altman, le nouveau film d’Alex Garland reprend le motif de la germination maléfique afin d’évoquer l’inexorable reconduction de la masculinité toxique au sein de nos sociétés. Une proposition de cinéma qui se veut originale, comme l’atteste cette idée directrice émise par l’affiche : Ils sont tous le même. Ici, il n’y a pas un seul agresseur, mais une multitude incarnée par les traits d’un même acteur.


Habile créateur d’atmosphère oppressante, Garland met son talent au service du folk horror, perpétuant ainsi une sorte de tradition britannique qui connut son âge d’or durant les années 1970, avec des films comme La Nuit des maléfices (1971) et The Wicker Man (1973). Le principe de base est plutôt simple : on joue sur le mystère entourant les rites et motifs païens pour les rendre effrayants. Pour y parvenir, notre homme parsème son film d’idées de mise en scène et de trouvailles visuelles qui nous font passer, dans un même mouvement, de l’émerveillement bucolique à l’angoisse sourde et palpable. Comme lors de la séquence du tunnel, au cours de laquelle l’aisance graphique de Garland s’exprime admirablement en distillant à l’écran une étrangeté pour le moins inquiétante (jeu sur les teintes verdâtres saturant le cadre, correspondance entre les échos menaçants et la voix de Harper...). Seulement notre homme ne veut pas se contenter de créer l’effroi, il cherche également à délivrer un discours. Une intention louable qui demande cependant un minimum de finesse pour ne pas empeser le film de lourdeurs et de didactisme...


Un didactisme que Garland s’empresse, hélas, de promouvoir pour aborder le sujet de l’agression masculine – qui tient sur un récit de harcèlement assez classique – jusqu’à s'enliser dans la lourdeur. Les flashbacks, par exemple, ont beau être soignés visuellement, ils n’en demeurent pas moins affreusement didactiques dans leur manière d’expliciter les mécanismes de la violence matrimoniale (l’infantilisation, la violence morale, physique...). De même, le choix de multiplier les profils d’agresseur masculin, tous issus des grandes instances sociales (le prêtre, le policier...), donne à la narration une dimension démonstrative pour le moins gênante : on a l’impression que Garland joue à l’élève studieux, passant en revue toutes les possibilités d’agression subies par les femmes, au risque de tomber dans un féminisme qui serait de posture ou artificiel. Ce manque de fond, de consistance véritable, que l’on retrouve notamment chez les personnages (Harper se contentant d’être une âme en peine parmi les vivants ; tandis que la prestation de Rory Kinnear peine à dépasser le cadre de la simple curiosité...), renforce la forme pompière du film.


Ainsi, faute de pouvoir creuser son sujet, Garland surinvestit la forme, jusqu’au maniérisme décevant. Désirant s’inscrire dans la veine de ce cinéma indépendant qui a su renouveler le folk horror, avec des films comme Midsommar ou The Witch, il associe maladroitement mythes et métaphores, pensant sans doute que la surcharge de signifiant deviendra expression poétique comme par enchantement... Malheureusement, Men s’empêtre rapidement dans un maillage de métaphores pompeuses et laborieuses, un peu à la manière de ce début riche en surenchère symbolique : les références au sang se multiplient autour de la figure de la féminité (la lumière est rouge, le sang coule, le mari se suicide...), préfigurant de manière malhabile le final avec l’accouchement monstrueux. Cette vision cauchemardesque de la sexualité sera surlignée abondamment durant le film, notamment à travers les nombreuses références païennes (le relief de pierre d’une femme nue, les akènes fécondateurs, etc.). Cette surcharge métaphorique, mal canalisée, pensée ou écrite, finit même par desservir le propos féministe du film. On s’en rend compte notamment lors de cette scène allusive au péché originel (la femme est tentatrice), sans oublier ce final grand guignolesque aux références pour le moins explicites (fente vulvaire, sang menstruel...). En voulant représenter cette vision cauchemardesque sur laquelle tient l’entièreté de Men - « le mâle engendre le mal » - Garland en vient à flirter avec l’évocation d’une féminité monstrueuse... Une maladresse qui résume, en quelque sorte, l’ensemble de son film.

Procol-Harum
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le 9 juin 2022

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