Voir le film

Les pauses offertes dans la filmographie de Wes Anderson par le détour vers l’animation (avec Fantastic Mr Fox, déjà adapté de Roald Dahl, et L'Ile aux chiens) avaient tout de respirations bienvenues, et il en sera de même avec cette série de courts métrages portant à l’écran l’univers foisonnant de l’auteur, dont Netflix vient d’acquérir la totalité des droits. Alors que ses précédents films ployaient sous le trop plein d’une formule (casting pléthorique, multiplication des récits, des formats), cette série va permettre au cinéaste de lever le pied. Le nombre de personnage est drastiquement réduit, les décors assez minimalistes et les récits courts, de 37 minutes pour ce Henri Sugar à 17 pour les quatre suivants.


Il ne s’agira pas pour autant, loin s’en faut, de renoncer à l’univers visuel qu’il a forgé depuis une vingtaine d’années : Wes Anderson s’amuse plutôt à fusionner un format nouveau et un récit préétabli à son propre monde. Le parti-pris consiste ici à exhiber de la manière la plus explicite qui soit l’adaptation de l’écrit : en constant regard caméra, les personnages récitent, pour ainsi dire, la narration, allant jusqu’à ajouter les « dis-je » après leurs répliques, ou parlant d’eux à la troisième personne. Un effort de distanciation qu’on retrouve dans une écriture dramaturgique optant pour les changements à vue (de décor, de costume, voire de maquillage), la caméra souvent rivée à un plan fixe au sein duquel les panneaux coulissants et les accessoiristes viennent garantir l’évolution du récit.


L’exercice de style peut aller très loin (dans Le Preneur de rats, on tient des objets imaginaires dans les mains), mais n’est pas sans charme : la langue anglaise garde toute sa saveur, et la parfaite diction des différents protagonistes ajoute à l’orfèvrerie visuelle, particulièrement dans l’histoire d’Henri Sugar, où le mécanisme des récits en abyme creuse l’image d’une nouvelle s’interrogeant sur la capacité à voir les yeux fermés. Cet idéal magique d’une vision extralucide trouve ainsi son pendant dans une machinerie qui ne cesse d’exhiber ses rouages, et atteste du plaisir artisanal d’un créateur à la bâtir. Alors que les courts suivants (surtout le Preneur de rats et Le Cygne) visitent la cruauté noire que Dahl n’avait pas hésité à traiter et fonctionnent sur une concision parfois austère, Henri Sugar gagne en ampleur par sa capacité à naviguer entre les couches narratives et s’inscrire dans la durée d’un récit de vie. Dans ce conte où le détenteur d’un savoir secret fera de son don une activité bienfaisante et clandestine, Wes Anderson poursuit pertinemment son œuvre, construisant un écrin sémillant au dévoilement d’une bonté encore existante chez l’être humain.


Sergent_Pepper
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Netflix, Les meilleurs films originaux Netflix, Vu en 2023 et Les meilleurs films streaming de 2023

Créée

le 3 oct. 2023

Critique lue 835 fois

28 j'aime

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 835 fois

28

D'autres avis sur La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar

La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar
Plume231
5

L'Homme sans qualités !

Ce n'est pas la première fois que Wes Anderson adapte Roald Dahl puisqu'il l'avait déjà fait avec l'excellent Fantastic Mr. Fox, qui montrait que le ton détaché ainsi la mise en scène symétrique et...

le 2 oct. 2023

24 j'aime

1

La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar
Enicoh
8

L’année de Wes

La merveilleuse histoire d’henry sugar est une pépite, un chef d’œuvre de court métrage. Depuis qlq années ( à partir de tgbh), Wes Anderson perfectionne son style et le rend de moins en moins...

le 27 sept. 2023

17 j'aime

1

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

767 j'aime

104

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

701 j'aime

54

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

615 j'aime

53