L'Homme sans qualités !

Ce n'est pas la première fois que Wes Anderson adapte Roald Dahl puisqu'il l'avait déjà fait avec l'excellent Fantastic Mr. Fox, qui montrait que le ton détaché ainsi la mise en scène symétrique et colorée de son monde s'allie à merveille à l'univers enfantin (tout en ayant une cruauté sous-jacente !), onirique et possédant un humour noir pince-sans-rire de l'auteur de Charlie et la Chocolaterie. Ces deux-là ne pouvaient que se rencontrer. Et il n'était que logique qu'ils se retrouvent.

Netflix (à l'heure lors de laquelle je rédige cette critique !) a permis au réalisateur de mettre en scène Henry Sugar ainsi que trois autres œuvres de l'écrivain.

Bon, en ce qui concerne The Wonderful Story of Henry Sugar, le Monsieur n'a jamais autant assumé l'artificialité de son style. Les acteurs, la plupart endossant plusieurs rôles (et qui reviendront dans certaines ou dans toutes les adaptations susmentionnées, y compris Ralph Fiennes dans la peau de Roald Dahl lui-même, mais ce sont d'autres histoires !). Les murs glissent ostensiblement pour laisser la place à un autre décor, explosant autant la rétine que le précédent par la diversité de ses touches chromatiques. Quand un des protagonistes est en lévitation, il n'y a pas de câble utilisé et effacé en post-production, mais un trompe-l'œil bien fait pour être visible. Un personnage se fait changer d'apparence devant nos yeux, sans que cela soit dissimulé. Les divers narrateurs (oui, il y en a plusieurs, l'un introduisant le récit d'un autre qui introduit le récit d'un autre... tiens, je ressens une vibe The Grand Budapest Hotel !) s'adressent aux spectateurs face caméra et sortent de leur bouche stoïque tout le texte, à la lettre, de Dahl, jusqu'au plus petit "dit-il". Aucun cinéaste n'a jamais été aussi littérairement littéral que lui ici (et dans les autres adaptations susmentionnées, mais ce sont d'autres histoires !).

Comme toujours chez Anderson, la mise en scène pure pousse à l'admiration pour son inventivité impossible à prendre en défaut. Donc, l'ensemble mérite d'être visionné pour la forme. Mais pour le fond ?

Ben, c'est là que le bât blesse, hélas. Voir des interprètes, aussi talentueux soient-ils, débiter du texte à vitesse grand V (ce qui fait, je vous jure que c'est vrai, que j'ai vérifié à deux reprises si je n'avais pas accidentellement mis le film à la vitesse 1,25 ou 1,50 !) n'est pas très agréable. En effet, l'exercice de style, à cause de cela, finit par être lassant et, surtout, phagocyte toute possibilité de faire ressortir l'émotion que l'on devine contenue dans le texte d'origine (il s'agit en partie d'un récit sur un homme, traversant à distance une existence, qui trouve enfin un sens à sa vie et ça, c'est fort comme sujet !). Parce qu'il n'y a pas le temps de creuser les personnages. Et aussi parce qu'il n'y a pas le temps d'exploiter à fond les rebondissements.

Le tout dure 37 minutes. Plusieurs dizaines de minutes en plus n'auraient pas été en trop pour permettre à l'adaptation de respirer.