La première scène trop théâtrale augure mal de la suite. Or, la scène suivante est terriblement bavarde - le pire défaut au cinéma.

Ce film est anachronique car il plaque sur l'époque des événements relatés (1943) les théories managériales de l'époque de la réalisation du film (1959). Un détail de la mise scène illustre parfaitement cet anachronisme : les décors et les costumes. Celui de Kaji est plus conforme à la mode européenne de la fin des années 50 qu'à la mode japonaise des années 40 [05'14].

Sur le fond, Kaji ne s'oppose pas à l'occupation de la Chine ni à l'exploitation des ouvriers japonais ou chinois, mais il tente seulement de convaincre sa hiérarchie que les mauvais traitements sont contre-productifs. Il n'est pas un humaniste, mais un cadre rationnel qui recherche la meilleure efficacité (discours des années 60) alors que la société japonaise s'enlisait dans la violence guerrière depuis 1931. Ce dialogue illustre parfaitement sa théorie [27'21] :

- Ce qui importe, c'est d'augmenter la production de charbon pour contribuer à l'effort de guerre. On bat nos ouvriers pour un meilleur rendement.
- Respectés, ils produiront plus.

Kaji collabore avec l'armée, utilise sans états d'âmes les prisonniers de guerre chinois comme main-d'œuvre gratuite et les fouettent quand, à peine sortis du train, ils se ruent sur la nourriture [38'02]. Il va lui-même au bordel pour recruter des prostituées afin de motiver les ouvriers chinois [50'10], etc.

Le discours de Kaji après l'évasion de onze prisonniers montre les limites de son humanité : Nous avons tout fait pour vous aider. Si vous essayez de vous évader je ne pourrai rien faire pour éviter les représailles. En clair, il demande aux prisonniers de coopérer pour faciliter leur exploitation [1h27].

Les problèmes du couple Kaji-Michiko, qui ponctuent le film, prennent beaucoup trop d'importance et ne présentent aucun intérêt.

La superbe photographie de MIYAJIMA Yoshio ne sauve pas le film.

La théorie, exposée par Kaji, fut celle défendue par ŌNO Taiichi, ingénieur chez Toyota, et appliquée au début des années 60 sous le nom de kaizen : principe d’autonomisation des équipes chargées de se répartir les diverses opérations de fabrication d'un produit afin de travailler plus efficacement et plus rapidement.

Les gourous du management français découvrirent cette recette plus tard grâce notamment au livre de MASAAKI Imai, Kaizen - La clé de la compétitivité japonaise. Aucun n'osa dire et encore moins écrire que la clé de la réussite de cette méthode repose sur le fait qu'une partie importante de la rémunération de l'équipe est liée à la quantité et la qualité de sa production et sur la flexibilité du temps de travail.

Lire :

• Simone MÜLLER, Le "champ littéraire" japonais en lutte : l'après-guerre et le discours sur la responsabilité des écrivains, Ebisu, 2007.

• SUZUKI Yoshitaka, Structures d'organisation des entreprises japonaises - Analyse historique comparative [USA-Japon], Annales, 1994.

•Diane-Gabrielle TREMBLAY et David ROLLAND, Le modèle japonais de gestion de la production et des ressources humaines, Université du Québec, 1996.

Serge-mx
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le 23 févr. 2023

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Serge LEFORT

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