L’Eté dernier contient dans son titre l’idée de fatalité, l’adjectif dernier signifiant moins ici « de l’an passé » qu’« ultime » : soit l’échauffement des corps et des cœurs ouvre sur l’achèvement de l’innocence d’une part, celle d’un adolescent confronté à la brutalité et à la complexité des sentiments, et sur le pas de côté occasionnel d’une avocate spécialisée dans la protection de l’enfance d’autre part, qui voit sa vie rangée et ses convictions voler en éclats. Le film veille à rendre naturelle et spontanée cette relation interdite, choisissant le schéma de la recomposition familiale comme le faisait le mythe antique de Phèdre, une belle-mère amoureuse de son beau-fils – à la différence près que leur passion est réciproque et consentie – pour mieux représenter avec beauté le besoin d’étreindre l’autre ; dès lors, nous spectateurs acceptons une telle union, nous nous y identifions sans scandale aucun, ce qui en soi relève du scandale !
En choisissant une représentante de la loi que ses fonctions auraient dû écarter de telles pratiques, Catherine Breillat montre que les êtres ne sont pas faits de lois mais de chair et de désirs ; elle compose une œuvre à contre-courant des préoccupations actuelles en interrogeant la valeur des normes sociales et des textes de loi, perçus tout à la fois comme des garanties offrant protection et encadrement aux victimes – le cas de l’adolescente éloignée de son père – et comme des remparts à l’épanouissement plein et entier du cœur humain, qui conduisent les partenaires à se comporter en monstres. En effet, nulle victime ici, nulle rupture de consentement, mais la lutte entre deux êtres qui se déplace depuis l’opposition de caractères vers la passion tumultueuse et insatiable, lutte qui semble inhérente à la nature humaine (voir à ce titre le silence d’Anne sur son passé). La cinéaste se saisit d’un microcosme bourgeois, cible habituelle des films de Chabrol notamment, pour mieux le révéler dans son mélange de conventions et de marques sincères d’attachement, en témoigne la séquence intime entre Anne et son mari.
Ce que l’on retient, à la sortie de L’Eté dernier, est la complexité du cœur humain. Breillat refuse de juger ses personnages et d’en faire des criminels : elle les suit sans complaisance dans leurs ébats ouvrant sur des débats moraux qui découlent moins des individus que de la société normative qui les gouverne. Sa pudeur à l’image surprend, constitue sa plus grande force en ce qu’elle permet une douceur synonyme d’harmonie (temporaire) dans une relation jugée incestueuse et dans un monde sinon chaotique. Un immense long métrage porté par de remarquables comédiens.