Œuvre de référence d'un sous-genre à part entière, le film de boxe, Gentleman Jim est l'illustration parfaite qu'un biopic, pour être bon, doit davantage relever d'une démarche artistique que d'une volonté d'être réaliste. En effet, de l'existence de James J. Corbett nous n'en connaîtrons que les grandes lignes (ses origines modestes, son ascension sociale par la force des poings, etc.), le reste est romancé à souhait, que ce soit l'histoire amour (filmée à la façon d'une screwball comedy) ou l'univers de la boxe (perçu comme étant le petit théâtre de la vie), afin d'en retenir que son universalité, cet art de vivre qui a fait d'un sport violent un noble art de la même façon qu'il a transformé un rustre irlandais en véritable gentleman... en creux se pose alors, en toute simplicité et sans naïveté aucune, une question pour le moins essentielle : comment juge-t-on la réussite d'une vie, ou d'un homme ?



Pour tenter d'y répondre, Walsh embrasse son sujet comme il l'a toujours fait, sans détour ni fioriture, en appliquant une méthode dont l'efficacité n'est plus à prouver et qu'il résume lui-même ainsi : « Action, action, action, que l’écran soit sans cesse rempli d’événements. Des choses logiques dans une séquence logique. ». Avec lui, tout est dans le rythme et le mouvement, comme l'indique cette séquence introductive qui nous annonce la teneur des réjouissances à venir : le mouvement est omniprésent, s'exprimant aussi bien par le cadre que par les personnages, faisant s'entrechoquer le drame et l'humour, l'action et l'amour, afin de se confondre avec le destin météore de Corbett, dont la folle énergie met en branle l'édifice de certitudes d'une époque où l'on juge l'autre à l'aune de sa classe sociale : un boxeur ne sera pas un gentleman, tandis qu'un gentleman peut devenir un boxeur, dixit le juge Geary...



Un peu à la manière des grands films populaires de l'époque, ceux des Ford, Hawks, Capra et consorts, Gentleman Jim se propose d'illustrer le rêve américain, le mythe du self-made-man, sur un ton certes léger mais qui n'occulte jamais une certaine gravité ou profondeur dans le propos. Ici, on évoque une société sclérosée et arc-boutée sur ses principes, dans laquelle le mépris social est dissimulé par les convenances et les bonnes manières. Le grand mérite de Walsh sera d'exploiter pleinement le scénario signé par Horace McCoy afin d'établir un portrait aussi caustique que réaliste de cette société américaine. Son sens de la rythmique lui permettra d'ailleurs de confronter avec pertinence les différentes représentations sociales, que ce soit en jouant sur l'imagerie véhiculée par la boxe (on passe des quartiers populaires, où la boxe est synonyme de brutalité et de combats clandestins, aux clubs mondains dans lesquels elle devient subitement autorisée et distinguée), ou sur les subtilités du langage (les échanges avec Victoria laissent transparaître son mépris pour le franc-parler de Corbett ; le titre de gentleman, qui lui est attribué, est avant tout ironique...).



Un mouvement walshien qui va surtout faire émerger deux façons totalement antagonistes d'aborder l'existence : celle du repli sur soi et celle de l'ouverture au monde, celle des nantis avec celle de Corbett. Bien sûr cette opposition est un peu facile et archétypale, mais Walsh va éviter bons nombres de lourdeurs en jouant simplement sur le pouvoir évocateur du mouvement. Ainsi, l'élite sera perçue comme un monde presque atone dans lequel on tourne en rond comme on cultive l'entre-soi (les mêmes visages se croisent inlassablement dans les mêmes clubs ou réceptions) et où les corps sont las et fatigués (la séance d'entraînement entre ces vieux messieurs ventripotents est, en ce sens, tout à fait délicieuse). Tandis que Corbett, au contraire, va exprimer son goût de vivre à travers sa fougue débordante. Une impression superbement véhiculée par Errol Flynn lui-même, dont la silhouette élancée et l'énergie sied à merveille au personnage. Mais également grâce à la mise en scène de Walsh et surtout sa manière très « vivante » de filmer les matchs de boxe : plutôt que de miser sur le réalisme (la difficulté des combats, les coups encaissés...), il exalte la vivacité de Corbett (en montrant son jeu de pieds ou son sens de l'esquive), faisant ainsi triompher l'élégance sur la brutalité.



Élégant, fougueux et éternellement victorieux, le personnage incarné par Flynn agace les nantis et pourrait également nous irriter si son portrait n'était pas agréablement saupoudré d'un humour bon enfant. Notre sympathie à son égard grandit tout au long du film car Walsh n'hésite pas à se moquer gentiment de ce héros plus que parfait : on rit de son narcissisme « cristiano ronaldolesque » avant l'heure, de sa façon de se recoiffer entre deux rounds ou de se pavaner en tenue chic lors des repas de famille ; tout comme on rit de cette classe populaire qui joue du bourre-pif en toute convivialité... Mais si on rit de cet homme trop poseur, c'est pour mieux applaudir le gentleman lorsque celui-ci se révèle : au fil des matchs, Corbett fait preuve d'humilité (l’hommage au champion déchu) et gagne ainsi les faveurs de l'être aimée. Un dénouement cousu de fil blanc, diront les esprits chagrins, mais qui fait mouche grâce notamment à cette caméra qui a su concilier les élans du cœur avec ceux de la pudeur.



(8.5/10)

Créée

le 29 août 2023

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6 j'aime

Procol Harum

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