L’enfance pourrait se résumer, dans bien des cas, comme la confrontation sur la durée au mensonge : celui des parents, qui arrangent la réalité pour rassurer, celui que le jeune être se fait à lui-même lorsqu’il pense comprendre le monde, qu’il l’imagine ou qu’il se projette dans l’avenir.
Felicita prend à bras le corps cette thématique dans le portrait qu’il fait d’une jeune gamine qui, dans un parcours un peu chaotique, recourt régulièrement à un casque anti-bruit pour cohabiter avec les voies de traverses poétiques, personnifiées par un astronaute qui accompagne sa solitude. Cet arrangement avec la vérité est pourtant le plus innocent de ceux qui baignent son existence, dans la mesure où ses parents ont fait du mensonge un véritable mode d’existence, entre la cavale du père et l’emprunt de la maison dans laquelle ils squattent.


Le faux qui sature le récit, dès la première séquence assez hilarante qui voit le père faire une grande annonce à sa fille, semble avoir été érigé comme un art de vivre, et permet une série de retournements de situation qui maintiendront savamment l’attention sur ces 24h resserrées en 80 minutes. Qu’importe, dès lors, si tout n’est pas tellement crédible, et si les ressorts du romanesque peuvent se révéler un brin poussifs : dans ce périple vers un jour de rentrée, les péripéties importent moins que les pauses qui les font respirer.


La différence d’un trio qui n’habite pas le monde comme les autres occasionne ainsi une odyssée par tentatives et ponctuels points d’ancrage : une maison, dans laquelle le chien serait en faïence, un doudou qui se transforme en quête presque épique, un cartable comme symbole d’une hypothétique intégration. Si l’immaturité parentale prête à sourire, elle aura toujours son contrepoint dans le regard d’une enfant qui cherche à définir sa place, comprenant mieux que ses ainés qu’une part de contrainte semble indispensable à l’expérience réelle de la liberté. Et c’est dans cette composition complexe que se jouera la vérité initiatique, lors de scènes récurrentes où le trio « refait la prise » pour correspondre au langage si séduisant de la publicité lorsqu’elle vend le bonheur des individus : passer par le jeu pour honorer l’intense banalité de l’amour entre les êtres.

Sergent_Pepper
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Enfance, Road Movie, Vu en 2020 et Les meilleurs films français de 2020

Créée

le 6 janv. 2021

Critique lue 1.8K fois

46 j'aime

4 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 1.8K fois

46
4

D'autres avis sur Felicità

Felicità
AnneSchneider
8

« Marcher sur l’eau, Éviter les péages, Jamais souffrir... » (Alain Bashung)

Et si... Et si Bonnie and Clyde avaient eu une fille... Alors ils ne seraient pas morts... Ils n’auraient pas pu, pour elle... Ils auraient vécu plus sagement, de petits larcins, petits squats,...

le 19 juil. 2020

44 j'aime

7

Felicità
socrate
6

La balade des gens heureux ?

Il y a plusieurs façons de recevoir ce film, des angles différents, ce qui en fait la richesse, comme on peut prendre des chemins différents dans la vie. Pour moi, le film s'intéresse d'abord au...

le 8 juil. 2020

28 j'aime

Felicità
Plume231
5

La Rentrée des classes !

Voilà le genre de film que j'aurais bien voulu kiffer. Oui, j'aime bien les réalisateurs qui tentent une approche différente de la vie, avec un ton décalé, des personnages décalés incapables de...

le 15 janv. 2021

25 j'aime

6

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

765 j'aime

104

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

701 j'aime

54

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

615 j'aime

53