Dupieux "le surréalisme c'est MOI"

L'an dernier, j'ai fait la découverte de Quentin Dupieux en visionnant "Yannick", une œuvre qui m'a immédiatement séduit par son côté décalé et original, beaucoup de liberté, vraiment c’était plaisant. J'ai trouvé que ce format court, qui se fait quand même assez rare au cinéma en ce moment — on a une inflation de films longs qui durent 3h, très longs, très chiants, très pompeux, comme le récent "Poor Things". Comme si la durée signifiait la qualité, bref, en tout cas, c’est plaisant d’avoir ce type de format d’1h10 dans le paysage cinématographique. J’ai eu l'occasion de découvrir il y a 2 semaines en avant-première "Daaaaaali", beaucoup de monde, je crois être la dernière personne qui découvre le cinéma de Dupieux. Depuis, j’ai rattrapé pas mal de ses films, j’ai tout aimé, même j’en ai préféré certains et je comprends tout à fait qu’il ait des fans qui attendent chacun de ses films. Personnellement, son meilleur film est "Daaaaaali" et après pas loin je mettrais "Réalité". Mais pour moi, "Daaaaaali" est au-dessus, il est arrivé à la maîtrise de son cinéma.


Alors, « Daaaaaali" s'inscrit dans la lignée de "Réalité" ou "Au Poste!", comme je les avais pas vu avant "Daaaaaali", j’ai été davantage surpris, mais après oui, je remarque la continuité et évidemment maintenant que j’ai dit ça, ça a du sens de faire un film avec Dali comme personnage. Et j’ai ressenti une vraie tendresse pour Salvador Dali, je pense que Dali aurait adoré ce film, vraiment. C’est un peu un lieu commun de dire que le cinéma de Dupieux s'inscrit dans une esthétique surréaliste. Il rappelle les travaux de Buñuel ou certains films de Renais, même si les thèmes abordés sont différents, et le ton surtout est différent, on est dans la comédie avec Dupieux. Au début du film, une curieuse pensée m'a traversé l'esprit en découvrant le personnage féminin, qui m'a fait brièvement penser à une intervenante de Konbini évoquant le SIDA. Alors, bien qu'évidemment ce soit Anaïs Demoustier, belle femme d’ailleurs, mais la ressemblance était troublante, déjà j’étais dans le film. La présence de la chèvre m’a confirmé dès les premières scènes que nous étions bel et bien dans la continuité d’un film comme « Réalité ».


Le film se révèle être une exploration de l'absurde, non pas de l'absurdité stupide, mais Dupieux explore les dimensions temporelles et spatiales du médium cinématographique. Cette approche évoque les mots d'André Breton dans son manifeste du surréalisme, je vous donne sa définition, vous allez voir on est proche du film : « Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison (mot important), en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale ». C’est la première définition du surréalisme mais Dupieux est plus proche de celle de Dali avec sa « paranoïa-critique », c’est un terme qu’a inventé Dali, qui lui était inspiré par Lacan (un psychiatre, essayiste français). En gros, c’est une autre perspective artistique, plus méthodique et critique, loin de l'automatisme pur proposé par Breton. Et Dupieux dans tout ça trouve sa propre voie du surréalisme, jonglant entre construction narrative et spontanéité.


Ce qui me fascine chez Dupieux, c'est sa capacité à faire progresser le récit tout en donnant l'impression de faire du surplace, avec très peu de moyens, il répète à plusieurs reprises des scènes mais en leur apportant chaque fois un nouvel élément, soit pour créer la surprise ou un effet comique, soit pour nous proposer une réflexion, comme la scène de la signature de Dalí sur une peinture qui est une croûte. Comme je disais dans ses films il y a une économie de moyen dans le sens où il y a peu de décors, peu d’acteurs, peu de lieux et ça ne le gêne pas, ça, c’est fort. Il arrive à les dynamiser ses scènes parce qu’il est inventif et c’est juste génial, sans parler que lorsqu’il utilise des effets un peu plus poussés, c’est toujours fait avec beaucoup de soin.


Du côté des acteurs, Jonathan Cohen est excellent dans le rôle de Dalí, c’est peut-être son meilleur rôle au cinéma. Édouard Baer fait le taf, bien que je ne sois pas particulièrement fan de lui, il livre une performance solide et je n’ai pas envie de me fâcher avec ses fans parce que, en général, je trouve ses improvisations vides et pompeuses, chiantes en un mot et je n’ai jamais compris ce qu’on pouvait leurs trouver. À part ça, c’est le film le plus drôle de ce début d’année.


Au fond j'apprécie chez Dupieux sa capacité à livrer un message tout en divertissant. Il se moque du monde journalistique, des producteurs, du monde de l'art, tout en proposant une réflexion sur le cinéma et l’art, comme il l'avait précédemment dans "Réalité". Son point de vue du personnage de Dalí est remarquable, il explore les multiples facettes de l'artiste et il offre une interprétation inédite de son travail. Autre chose, les transitions du film évoquent celles de Maya Deren dans son film "At Land", dont je recommande vivement la découverte puisqu'il est disponible sur YouTube.


Je dirais que « Daaaaaali" m’a captivé pendant ses 1h18, où la liberté de création de Dupieux transparaît à chaque plan. Certains effets sont très simples comme passer une scène à l’envers, c’est un effet extrêmement simple mais dans ce contexte, ça fonctionne tellement, c’est complètement approprié. Voilà, ce qui frappe est surtout la liberté de Dupieux, le film met bien 10 minutes à se conclure et c’est hyper drôle. J’attendais comme tout le monde dans la salle une scène post-crédit. Bon, c’est une critique assez courte parce que le film se passe d’explication, allez le voir c’est très drôle, c’est intelligent et ça ne dure pas 3h pour rien.

Naldra
7
Écrit par

Créée

le 5 févr. 2024

Critique lue 38 fois

Naldra

Écrit par

Critique lue 38 fois

D'autres avis sur Daaaaaalí !

Daaaaaalí !
Sergent_Pepper
7

Comédiens avec un vampire

Après la parenthèse Yannick qui donnait la part belle au spectateur exigeant, Dupieux retourne du côté des projecteurs et s’intéresse à Dali, phénomène du surréalisme et vivier inépuisable pour un...

le 12 févr. 2024

51 j'aime

Daaaaaalí !
EricDebarnot
7

Le fantôme obscur et discret de la liberté du désir

En sortant de Daaaaaalí !, j’attrapai au vol la conversation d’un couple perplexe devant le film qu’ils venaient de voir, et se demandant s’il ne leur faudrait pas lire une biographie de Salvador...

le 12 févr. 2024

31 j'aime

Daaaaaalí !
Sabri_Collignon
4

Duuuuuuuuuuupppppiiiiieeeeeeeuuuuuuxx arrête ton cinéma!

Du verbiage, du mimétisme et un semblant de surréalisme étirés sur 78 minutes qui en paraissent bien 60 de plus tant l'exercice de style est comme toujours chez Dupieux galvaudé. La fin est à cet...

le 8 févr. 2024

19 j'aime

14

Du même critique

The Marvels
Naldra
1

Miss Marcel au Darty du coin

À qui s'adresse ce film ? Je pose la question parce que je ne vois pas vraiment quel public pourrait aller le voir. C'est tout simplement le pire Marvel. En tout cas, je ne fais pas partie de la...

le 11 nov. 2023

4 j'aime

1

Les Feuilles mortes
Naldra
8

C'est simple, c'est beau

Appréciant Aki Kaurismaki après avoir visionné plusieurs de ses films, celui-ci s'inscrit dans une trilogie informelle consacrée au monde ouvrier, comprenant "Ombres au paradis," "Ariel," et "La...

le 22 sept. 2023

4 j'aime

Pauvres Créatures
Naldra
3

Candide chez les mascus

Alors, tout ça pour ça ? Je pense que ma critique va être rapide parce que ce film ne m'a pas plu, et je risque de l'oublier rapidement. Je n’avais pas d'attentes particulières, je n’ai pas lu le...

le 18 janv. 2024

3 j'aime

2