Appréciant Aki Kaurismaki après avoir visionné plusieurs de ses films, celui-ci s'inscrit dans une trilogie informelle consacrée au monde ouvrier, comprenant "Ombres au paradis," "Ariel," et "La Fille aux allumettes." Jusqu'à présent, j'ai eu l'occasion de découvrir deux d'entre eux.
En quelques mots, l'intrigue se déroule à Helsinki et suit Ansa, une femme célibataire travaillant dans un supermarché avec un contrat précaire. Sa vie solitaire prend un tournant lorsqu'elle fait la rencontre d'un ouvrier dans un bar karaoké, et ils tenteront de construire une relation ensemble. On a un film sur deux personnes à la moitié de leur vie vivant dans une précarité à la fois matérielle et affective, comme si le réalisateur suggerait qu’il existe un lien entre les deux. Voilà pour le synopsis.
Ce qui me marque dans ce film, c'est l'impression que les personnages semblent venir d'une autre époque. Malgré le contexte contemporain, souligné par la radio diffusant des nouvelles de la guerre en Ukraine, tout semble figé dans les années 80 ou 90, que ce soit au travers des lieux, des décors, des objets, des vêtements, ou du mode de vie des personnages, qui n'ont pas évolué depuis des décennies. Cette atmosphère mélancolique est renforcée par l'importance accordée à la typographie, qu'il s'agisse des affiches de vieux films, des posters de groupes musicaux, ou des panneaux comme « Ne pas fumer ici, » que les personnages ignorent avec une indifférence délibérée. Il y a une grande beauté des plans et des décors avec un soin apporté à la décoration, et la manière dont l'usine est mise en scène, les scènes de travail servent également à dévoiler l'état émotionnel des personnages, car bien qu'ils se livrent peu verbalement, ils ressentent des émotions fortes. Il y a une certaine fatalité, les personnages nous donnent l’impression d’avoir accepté leur condition matérielle. Le réalisateur semble vouloir aussi nous rappeler que ce que l'on pourrait juger banal possède une certaines beauté.
Aki Kaurismaki se penche sur des thématiques telles que l’amour, le travail, la précarité et l’alcoolisme, en évitant tout pathos ou dialogues superflus. Son cinéma se caractérise par une économie de mots, privilégiant de réaliser des films presque muets. J’aime que cette histoire d’amour soit simple, deux personnes se plaisent et essaient de passer des moments ensemble malgré les situations difficiles qui ne manquent pas d’humour car Les feuilles mortes est aussi une comédie. Kaurismaki écarte sciemment la question de la sexualité pour explorer d'autres facettes de l'amour. De surcroît, il s'attache à dépeindre la réalité du monde du travail, exposant ses personnages en pleine activité, sans emphase ni artifice. Il dépeint simplement la précarité inhérente au travail ainsi que les contraintes qui écrasent les salariés.
En abordant l'alcoolisme, il met en lumière une forme insidieuse de dépendance, c’est-à-dire le quotidien d’un alcoolisme sans pour autant sombrer dans la violence ou les excès. La musique occupe une place important, non pas en tant que toile de fond musicale, que je réprouve personnellement, mais en tant que source de réconfort pour les personnages lorsqu'ils sont submergés par la mélancolie. Par exemple on voit Ansa allumer sa radio pour mettre des vieilles chansons Finlandaises lorsqu’elle se sent seule. Aki Kaurismaki esquisse des personnages en apparence imperturbables, des êtres de granit dépourvus d'émotions particulières qui ne se plaignent jamais, mais dont les sentiments intenses sont révélés par la musique et des subtilités dans leur comportement. Merci de m’avoir fait découvrir le groupe Maustetytöt. En fin de compte, ce film dresse le portrait d'individus souvent solitaires à l'écran, tout en plaçant l'amour au cœur de leur existence, suggérant que, par-delà les vicissitudes, l'amour demeure essentiel. Une idée puissante émerge de cette œuvre : les âmes défavorisées par la vie sont tout autant capables de vivre de belles histoires d'amour.
ma critique sur ma chaîne :
https://youtu.be/8l_vmeI3bQo