Des monstres ?

Bones and All ne recule devant rien, comme l'interdiction aux moins de 16 ans en France pouvait le laisser présager. Impossible de sortir indemme du visionnage de ce long-métrage, tant ce film est parsemé de scènes aussi choquantes que traumatisantes. On est d'accord, de temps en temps, ça fait du bien, on ne va pas au ciné pour ressentir toujours les mêmes émotions.

Visuellement, Bones and All est une réussite totale. La réalisation de Luca Guadagnico semble venir d'ailleurs, tant elle sait jongler entre scènes contemplatives magnifiques, et moments de violence pure, extrêmement intenses. Le spectateur n'est jamais oublié, il est toujours pris en compte, on sent que le film est fait pour lui, comme s'il était un message qui devait être délivré dans les meilleures conditions possibles pour être compris. Pour les conditions, c'est réussi, mais qu'en est-il du message en lui-même?

En fait, je me pose toujours la question. Il ne faut pas oublier que ce film se veut être horrifique, et une dose claire de fantastique intègre l'histoire qu'on nous raconte. Certains élément surréalistes, légers mais bien réels, pimentent le scénario, au point parfois d'après moi d'amener celui-ci à accuser des facilités et raccourcis. Le personnage de Sully, le vilain du film pour la faire courte, est un personnage que j'estime extrêmement caricatural, dont on peine à comprendre les motivations profondes. Aussi excellement joués que les personnages du film puissent être, seulement celui de Lee est parvenu à véritablement m'intéresser, à me captiver. Mon empathie pour le personnage principal est très faible, est-ce par manque de charisme de l'actrice ? Par des motivations pas très recherchées ? Par un scénario assez prévisible ? Sûrement un mélange de tout. Je pense qu'il serait difficile de refuser d'admettre certaines maladresses ou insuffisances scénaristiques à Bones and All.

Tant est si bien que Bones and All peine à nous transmettre quelque chose d'un point de vue philosophique. Je dois reconnaître qu'il parvient parfaitement à alimenter la réflexion sur le cannibalisme, et sur ce qu'est l'humanité, quelles sont ces limites, et quelle est peut bien être la sensation de se sentir en dehors de la société, d'être un humain parmi les humains. A-t-on affaire à des monstres ? Bones and All nous répond que non (très surprenant, je sais). Le film choisit de nous montrer l'humanité de personnages qui, victimes d'un besoin incontrôlable de manger de la chair humaine, commettent des atrocités sans nom, au point de devoir tuer pour survivre. Quel sentiment doit avoir le spectateur vis à vis d'eux ? C'est forcément plus compliqué que de se dire "les pauvres, certes ils mangent des êtres humains, mais ça ne fait clairement pas d'eux des monstres, ce n'est pas de leur faute après tout.". C'est pourtant la seule option que nous propose le film, et bien que cela soit méritant, cela n'est pour moi pas suffisant, car Bones and All reste finalement classique dans sa manière d'aborder un sujet aussi compliqué que l'anormalité forçant le crime contre l'humanité. Le parallèle avec la pédophilie m'est rapidement venu à l'esprit. Accepterions-nous le même film sur ce sujet, avec la même conclusion? Le film ne dit pas "c'est plus compliqué que ça", il impose au spectateur une image biaisée et romancée, qui ne peut satisfaire du point de vue de la réflexion.

Ces dernières phrases peuvent sembler dures, et me poussent à insister sur le fait que j'ai apprécié ma séance de cinéma, en particulier grâce à la réalisation et à la force des scènes. Mais je ne pourrai pas reconnaître ce film comme réussi philosophiquement parlant. Dans tous les cas, ce film est à voir, tant il propose un contenu profondément unique et suprenant. Les avis vont forcément diverger, et tant mieux !

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