Le film Barbie... un blockbuster promotionnel mis au service d'un questionnement sociétal moderne ?
Ou une vision manichéenne de la société habilement mise en scène pour servir les intérêts d'une multinationale ?...
Bien joué Mattel ! Réussir à soulever cette double question antithétique est déjà un succès.
Une réussite cinématographique réside dans la capacité à toucher le public le plus large possible, nul doute que le pari sera réussi.
Le nom de la célèbre poupée ne manquera pas de séduire le jeune public (... et les parents), la présence de superstars hollywoodiennes et le kitch assumé d'une campagne publicitaire phénoménale et protéiforme attireront les grands adolescents et les jeunes adultes, un discours féministe tenu par une poupée à la plastique fantasmée constitue un paradoxe qui éveillera la curiosité de tous ceux qui s'interrogent sur l'évolution de la société.
Autant dire qu'un public diversifié devrait être au rendez-vous ! Même si, disons-le clairement, les plus jeunes n'y comprendront pas grand-chose et leurs parents feraient mieux de leur choisir un film plus adapté à leur âge, aux repères et à la dialectique plus tranchés.
Visuellement, c'est une grande réussite, les mondes parallèles s'entrelacent magistralement. D'une part, la reconstitution du monde aseptisé et plastifié des poupées est impeccable, on s'y sent parfaitement immergé.
D'autre part, l'incursion de Barbie et Ken dans la "vraie vie" est prétexte à une succession de situations très cocasses... même si certaines lourdeurs étaient sans doute évitables.
Il faut dire que Mattel, le fabricant de jouets et commanditaire du film, n'a pas lésiné sur les moyens en s'attachant les services de supers stars hollywoodiennes, très à l'aise dans leurs costumes, et d'une réalisatrice en vogue. Faisant l'objet de polémiques récurrentes depuis quelques années et connaissant des ventes de poupées plutôt instables, la société compte beaucoup sur le succès de ce film pour redorer son image... et renflouer ses caisses. Ce dernier aspect est d'ailleurs clairement mentionné dans le film, ce qui ne manque pas de saveur.
Ce film-business dopera sans doute les ventes de poupées, il est certain qu'il sera plus que rentable sur le plan cinématographique.
Quant à la problématique de la place des femmes dans notre société patriarcale et inégalitaire, elle est abordée de façon originale. L'idée vient-elle de l'entreprise Mattel elle-même, qui en aurait fait un angle d'attaque vendeur et légèrement démagogue, ou bien de la réalisatrice Greta Gerwig et de son actrice vedette (également productrice...) Margot Robbie qui ont toutes deux déjà prouvé leur engagement pour la cause féministe ?
Peu importe, le sujet a le mérite d'être traité.
Nées en 1959, les poupées Barbie, avec leurs costumes et accessoires très diversifiés, pouvaient représenter l'émancipation féminine : l'habit ne fait pas la nonne mais peut contribuer à libérer l'imagination, à ouvrir le champ des avenirs possibles par identification. Mais cette potentielle envolée libératrice a rapidement pris du plomb dans l'aile. En effet, "être une Barbie" est rapidement devenue une expression dévalorisante voire injurieuse puisqu'elle évoque une femme à la plastique avantageuse mais dénuée d'intelligence. La masculinité qui caractérise nos sociétés depuis longtemps est clairement responsable de ce dénigrement ridicule. En usant de situations caricaturales souvent bien senties et d'une dualité tournant immanquablement à l'avantage de la femme, le film s'emploie à démontrer que cette domination masculine est abusive, stupide et sans fondement. Fort heureusement, le film est militant mais il évite l'écueil du féminisme extrême.
Parmi les défis que doivent relever nos sociétés, celui de l'établissement d'une réelle équité entre les sexes occupe une place prépondérante. Horrifiées par les ignobles abus et scandales exhumés de l'univers cinématographique, haut lieu de pouvoir et de malsaine séduction, certaines stars courageuses s'emparent de ce défi. C'est tout à leur honneur. L'art a toujours contribué à faire évoluer les mentalités, en permettant de diffuser des messages et d'interroger les préceptes qui régissent une société. Barbie, malgré des motivations clairement commerciales et discutables, pourrait s'inscrire dans cette mouvance. Sans se prendre au sérieux et sans moralisme exacerbé, le film délivre un message féministe clair mais il souffre, à mon sens, de questionnements et de thèmes parasites : le malaise exacerbé de Ken, l'attitude totalement ridicule des dirigeants de Mattel qui profitent du film pour présenter trop ostensiblement leur mea-culpa, la relation mère-fille superficiellement houleuse, le sentiment de solitude d'Allan qui semble incarner à lui seul la lourde problématique actuelle de l'identité "non-genrée"...
Barbie restera un film événement, très symbolique et visuellement novateur. Il aurait pu être plus audacieux intellectuellement en s'éparpillant moins et en présentant une guerre des sexes moins caricaturale. Il aurait gagné à présenter plus habilement les moyens de vivre une véritable concorde des genres, possible et nécessaire.