Au-delà du titre très accrocheur et de ses impressionnantes têtes d’affiche, c’est surtout son thème qui faisait du dernier film de Martin Scorsese un événement cinématographique très attendu. S’appuyant sur le livre éponyme de David Grann, Scorsese revient sur la destinée des indiens de la tribu Osage, parqués en 1825 dans une partie désertique de l’état d’Oklahoma (au centre des USA) et devenus riches en raison de la découverte d’une importante réserve de pétrole sous leurs terres au début du XXème siècle. Dans les années 1920, victimes de bandits notoires peu inquiétés par une justice locale complaisante, de nombreux Osages ont été abusés, volés et même assassinés. Une vingtaine de meurtres ont été recensés officiellement par les autorités locales entre 1921 et 1926 mais il y en eut sans doute beaucoup plus. Il fallut l’intervention des enquêteurs du Bureau d’Investigation, ancêtre du FBI, dirigé par le jeune et ambitieux J. Edgar Hoover, pour mettre un terme à ces crimes et spoliations organisés.

Noirceur de certains instincts humains, organisations crapuleuses… Pas étonnant que Martin Scorsese se soit emparé de cet épisode douloureux de l’Histoire américaine et qu’il ait voulu nous en livrer un film fleuve (3h26), comme à son habitude. Malheureusement le film révèle rapidement de criants défauts... A commencer, aussi incroyable que cela puisse paraître, par la lourdeur académique d’un Leonardo DiCaprio qui a voulu emprunter à De Niro (« You are talking to me… ») et surtout à Marlon Brando (bajoues gonflées du Parrain) des mimiques qui le desservent totalement. Il est tout de même curieux qu’avec autant de talents réunis sur un même plateau de tournage, personne ne l’ait corrigé... Seules certaines scènes, dans lesquelles il tombe naturellement son grimage grotesque, nous permettent de le voir à son meilleur niveau d’interprétation. Ce défaut est d’autant plus gênant que le réalisateur, sans doute ravi de retrouver une nouvelle fois deux de ses acteurs fétiches et si charismatiques, abuse des gros plans. Le film peine également à trouver son rythme. La culture indienne et ses rites emprunts de sagesse invitent à la contemplation, les incantations divines sont des poèmes dont on doit s’imprégner doucement, Scorsese semble vouloir nous le faire comprendre tout en ne l’assumant pas totalement. En effet, sans doute par crainte de perdre l’attention de son auditoire au cours de son (très) long-métrage, il distille quelques scènes d’action ou de combats psychologiques. Mais ces scènes, souvent courtes ou incongrues, sans véritable intérêt narratif ou explicatif, ne rythment pas vraiment le film et donnent plutôt l’impression d’un piétinement.

Certes, les décors, les costumes et les lumières sont impeccables, ils nous plongent dans cette Amérique des pionniers de l’or noir, une Amérique qui oscille en permanence entre ambitions personnelles et cruelles désillusions. De Niro est formidable, en vieux notable avide et machiavélique, tour à tour patelin et autoritaire. Il préfigure parfaitement les chefs mafieux qu’on retrouve dans les plus grands films de Scorsese (les Affranchis, Casino, Les infiltrés, Gangs of New-York). L’actrice Lili Gladstone est également un atout. Tout au long du film, très naturellement et merveilleusement filmée, elle nous offre de lire sur son visage les incompréhensibles tourments et les douloureux questionnements d’un peuple honteusement opprimé qui cherche à rester digne. Mais d’un réalisateur comme Scorsese, l’un des plus célèbres et influents d’Hollywood, visiblement très motivé par ce thème audacieux, nous attendions mieux. Quel regret de n’avoir pu plonger totalement dans cette histoire d’autant plus poignante qu’elle s’appuie sur des faits établis.

La complexité de la relation qu’entretiennent Molly l’Osage et Ernest le voyou naïf aurait mérité meilleur traitement. Leur union est d’abord celle d’une solitude pesante et d’une personnalité charmeuse dont l’avidité est à peine déguisée. Même si elle n’augure rien d’épanouissant, elle évoluera avec le temps. Des sangs-mêlés naissent de cette union contre nature, la perversité s’atténue alors et laisse place à une sorte de tendresse, peut-être même à de l’amour. Peu à peu le cœur du voyou opportuniste s’ouvre à la rédemption, ce cheminement valait la peine d’être plus développé.

Quant à la grande Histoire, toujours utile pour comprendre le présent, on aurait souhaité la voir davantage convoquée. Comment et dans quelles conditions un gouvernement a-t-il pu instaurer la mise sous tutelle d’une partie de la population ? Comment la rencontre éclair entre les dignitaires Osages démunis et le Président Coolidge a-t-elle pu déboucher sur une prise en main immédiate de la part du « Bureau of Investigation » (notamment personnifié par un Jesse Plemons très sobre et efficace) ? La société toute entière, à l’image de cet Ernest balourd et influençable, était-elle complice de ces atrocités ? Au-delà de la présentation de faits historiques sordides que Scorsese condamne ouvertement et légitimement, peut-être a-t-il manqué l’occasion de nous offrir de plus profonds éclaircissements sur certains malaises dont souffre encore la société américaine… Je veux notamment parler de la très répandue mais si perverse légende du rêve américain ou encore de l’incapacité historique à faire vivre ensemble d’innombrables minorités.

Jimbodo
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le 24 oct. 2023

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