En sortant de la projection de Babylon, on est conscient d'avoir assisté à un événement cinématographique "extra-ordinaire", au sens littéral du terme.
Damien Chazelle est un réalisateur prodige de 38 ans, remarqué pour Whiplash (2014) et oscarisé pour Lalaland (2016), comédie musicale faussement désuète et finement moderne. Whiplash, Lalaland et Babylon ont un thème commun : la relation fusionnelle entre un artiste et son art érigé en nécessité vitale... Un jusque boutisme que l'on retrouve également dans First Man (2018, précédent long-métrage de Chazelle), biopic consacré à Neil Armstrong dont la passion pour sa mission prenait le pas sur sa vie familiale tourmentée.
Dans Babylon le spectacle est permanent, dense, long, rythmé. Il mêle audacieusement les genres. Si le burlesque domine une bonne partie du film, le drame existentiel et la romance sont en filigrane. Nous sommes emportés dans un tourbillon de couleurs et de sons. Mention spéciale au compositeur Justin Hurvitz dont la musique accompagne parfaitement la frénésie hollywoodienne mise en scène par Chazelle.
Les acteurs vedettes nous livrent également des performances époustouflantes. L'extravagance de Margot Robbie est stupéfiante de maîtrise et de naturel. Brad Pitt, d'une arrogance savoureuse, tour à tour présomptueux, ingénu, narquois ou mélancolique, excelle dans tous les registres.
La vie des personnages principaux suit l'évolution du cinéma hollywoodien au cours de la première moitié du 20ème siècle. Babylon ou l'histoire d'un Hollywood resplendissant, au faîte de sa gloire mais qui, inconscient de son intrinsèque fragilité, sombre dans une répugnante décadence. Alors, semblant obéir à une transcendantale destinée, imitant ainsi une cité phénix centenaire de l'Antiquité, Hollywood renaît de ses cendres pour se réincarner... C'est cette mue que nous conte Chazelle, filmant parfois avec une discutable jubilation et concluant par un final psychédélique annonciateur d'une nouvelle (r)évolution...
Certains applaudiront à tout rompre. D'autres, marqués par la démesure outrancière du réalisateur, devront prendre le temps de la réflexion...
Babylon est excessif, comme pour inspirer au spectateur des sentiments extrêmes et contradictoires, propres aux relations passionnées. Comme celle que semble entretenir le réalisateur avec son Art... Outré mais séduit, émerveillé tout en étant exaspéré, le spectateur est emporté, presque piégé. Mais attention, malgré son fondement amoureux, la Passion tutoie souvent la douleur ou le dégoût... Et c'est donc à un public averti que ce film s'adresse. Un public cinéphile pour apprécier la mise en abyme de ce cinéma dans le Cinéma, un public mâture pour garder la distance nécessaire vis-à-vis d'un second degré tapageur et assumé, un public curieux et prêt à s'immiscer dans l'intimité profonde d'un réalisateur.
Quoique nous pensions de ce film, Damien Chazelle s'est livré honnêtement et sans retenue, partageant avec nous sa singulière vision du cinéma et nous conviant à une orgie picturale tonitruante, à une expérience définitivement "extra-ordinaire", comme peut-être nous n'en verrons jamais plus...