Une lutte, voilà ce que raconte ce projet à inspiration autobiographqiue de James Gray, revisité et remanié à la manière armageddon; un combat mystique, une véritable bataille pour trouver sa place et s'émanciper d'une société que l'on ne comprend pas.

Paul Graff est avant tout une sorte d'anti-héros sensationnel. Un petit blond chétif aux faux airs de fille manquée, un cancre irrespectueux envers les institutions et même son cercle familial, tous deux incapables de quoi que ce soit face aux désobéissances à répétition du jeune garçon. Et c'est ce premier point qui va ramener le jeune New-Yorkais à la réalité du monde qui l'entoure. Il existe dans son monde, dans son insouciante enfance et dans la société en général, de cruelles injustices pour un jeune de son âge. Peut-être trop cruelles d'une certaine façon, qu'elles soient raciales, ou bien d'ordre affectif, elles impactent sévèrement le personnage principal dans sa progression individuelle dans l'idée collective qu'il est censé intérioriser. Il avance seul, ou presque, toujours dans ses pensées et dans son monde, là où la réalité exige un comportement aux antipodes de celui qu'il adopte. C'est le placement de Paul dans un nouveau collège qui va amener à cette extrême plongée dans le monde réel, du moins celui auquel il est sommé d'adhérer.

Malgré des caractéristiques qui peuvent rendre le personnage profondément antipathique, on se retrouve malgré tout à apprécier Paul Graff. Pourquoi? Certainement car il s'agit de James Gray lui même, et que personne ne se connaît mieux que soit même. Le réalisateur se connaît tellement bien qu'il arrive à donner à un film très personnel une dimension plus collective, retraçant les années 80 avec une justesse frappante. Loin de véhiculer des clichés de l'époque comme beaucoup le font de nos jours, simplement pour faire fantasmer une génération qui n'a pas connu cette période d'apparence si encline à la liberté, Armageddon Time se contente de petits détails qui viennent justifier la temporalité qui sera plus qu'importante à cerner pour comprendre la trajectoire de Paul. Celui-ci, artiste précoce, ne cesse d'observer le monde qui l'entoure, et d'en puiser son inspiration sans limites. Malgré ses revendications prétentieuses et insupportables, le spectateur comprend que le jeune garçon est profondément perdu, pathétiquement noyé dans le flux de la vie. C'est ici que le film prend son intérêt et que le personnage de Paul prend son épaisseur. C'est un cancre, oui ; un petit c*n, oui; mais il reste un jeune homme qui ne sait pas ce qu'il va devenir, qui force finalement à l'empathie, à la limite de l'homosexualité refoulée, et surtout, presque sans repères.

Car je dis bien "presque", un personnage venant troubler cette impression de perte totale de repères pour notre jeune homme. Un grand père à la figure protectrice si bien campé par un Anthony Hopkins si rationnel comparé à son dernier rôle en date. Une relation touchante et extrêmement intéressante, tant tout semble opposer les deux personnages. L'un s'est battu toute sa vie pour devenir ce qu'il est, l'autre est né avec des privilèges; l'un se perd dans ses idées et ne semble jamais toucher terre, alors que l'autre est profondément ancré dessus, faisant même tenir une famille à la force même de sa raison. Et ce sont ces différences et cette alliance qui vont provoquer la grâce d'une relation qui relève l'amertume et le caractère presque trop extrême de toutes les autres. Au contraire des relations parentales, dépeintes avec un profond désintérêt pour l'amour et la compassion, ou celles fraternelles un peu caricaturées, la relation grand père/ petit fils est d'une justesse inouïe, et apporte beaucoup, à la fois au film, qui bénéficie de quelques scènes subtiles et pleines de sous entendus (le cadeau de la fusée, son lancement dans le parc, le passage dans la chambre), mais aussi à la trajectoire de Paul Graff.

C'est cependant celle qu'il prend pendant une bonne moitié du film qui correspond à la plus grosse faiblesse du film. Son amitié avec Jonathan installée de façon satisfaisante, James Gray s'attèle à raconter toutes les bêtises des deux jeunes garçons. Bien qu'elles veuillent pointer du doigt l'écart qu'il existait pour des jeunes si différents par rapport aux autres de leur âge, et peut être une faiblesse des institutions publiques, elles semblent être un peu poussées à bout, et parfois inutiles à l'intrigue en elle même. Y avait-il besoin d'aller voler ce fichu ordinateur dans un collège privé ultra bien conservé qui garde ses fenêtres étrangement ouvertes la nuit? Certainement pas. Pourquoi cibler la répétition des 400 coups des deux jeunes garçons comme une liberté profonde là ou le film veut mimer leur emprisonnement respectif dans une société qu'ils ne comprennent pas? Toutes ces questions taraudent le spectateur, bien que la trajectoire de fin de film vienne complètement effacer sa sombre teinte mise en avant plus tôt.

L'anti conformisme à l'élite représente la positivité d'une fin de film parfaite en tous points. Après une scène de repas cruciale qui fait dire au spectateur que Paul va choisir la facilité en devenant un élève modèle, pour par la suite avoir la carrière artistique que l'on connaît à James Gray, le film nous offre une superbe image de la fuite de ces institutions profondément injustes qui empêchent et restreignent leurs élèves dans leurs projets individuels et personnels. Car contrairement à ce qui est dit plusieurs fois, la copie de Kandinsky ou bien la représentation de la fusée sont les projets personnels de Paul Graff, qu'il n'a pas la possibilité de développer, mais dont il entrevoit la portée générale et le succès qui pourrait en découler dans la scène du vol. Un choix plus qu'intéressant pour une fin symbolique à la fois de l'évolution et du caractère du personnage.

Malgré quelques défauts apparents dans une intrigue incohérente par moments, Armageddon Time symbolise parfaitement la lutte qui traverse les personnages. Une guerre entre un être et les autres, entre plusieurs visions opposées qui amènent à un armageddon spectaculaire. Le film reste avant tout une juste et magnifique fresque familiale, renforcée par une sensibilité troublante des personnages. Une ode à l'enfance et à l'insouciance, à la trajectoire difficile à suivre pour devenir et faire comprendre que l'on est pas comme les autres; que l'on est un artiste.

Stewart-Bates
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le 21 nov. 2022

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Alban Peyrot

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