Gag Order
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Gag Order

Album de Kesha (2023)

Méconnaissable, dépouillée de son $, Kesha traverse l'enfer, un sac plastique sur la tête.

De Kesha, je n'avais pour référence que TiK-ToK, Timber avec Pitbull, et What Baby Wants, Baby Gets avec Alice Cooper, c'est à peu près tout. Même si ce dernier morceau avait éveillé mon étonnement et m'avait fait nuancer un peu l'image que j'avais d'elle, je ne m'étais pas intéressé plus que ça à sa production.

Kesha en 2023 n'est plus vraiment l'incorigible fêtarde qui se brosse les dents au Jack Daniels sitôt le point du jour venu. De thérapies en désintox (pour troubles alimentaires), elle traverse une période dont elle ne sortira pas indemne. Il faut ajouter à cela le gros morceau : de vaines luttes judiciaires contre son ancien producteur qu'elle attaquait pour maltraitances, agressions sexuelles, viol. Un accord financier conclut 10 ans de procédure avec à la clef l'interdiction d'évoquer publiquement l'affaire pour Kesha.

L'album Gag Order, sans en dire un mot ne parle que de ça.

Autant vous dire que, si on ajoute une grosse part de Rick Rubin dans la production, on n'est pas là pour la fête.

Alors que Adele capitalise au long de 3 albums au moins sur sa rupture*, Kesha, en 13 morceaux ramassés, abandonne à peu près tout espoir de matraquage radio pour se livrer.

Dès les deux premiers morceaux jumeaux, Something to Believe In et Eat the Acid, malgré un rythme marqué, on est loin de ce à quoi nous avait habitué notre infortunée. Les nappes froides et synthétiques s'installent pour le reste de l'album. L'ambiance est étouffante, on est bien dans le thème.

Soutenu par une guitare folk, Living in My Head est un morceau squelettique, diaphane, porté par une voix d'abord apathique puis exaspérée. C'est assez entêtant, c'est le cas de le dire.

Fine Line retourne aux synthés et aux claviers, le morceau fait penser dans une certaine mesure au travail de Billie Eilish ou d'Atticus Ross, Trent Reznor et Halsey sur l'album If I Can’t Have Love, I Want Power et par extension à certains des morceaux les plus pop de How to Destroy Angels. Fragile, résigné, honnête, naïf, rancunier, c'est l'un des morceaux où ce qui ne peut être dit transparaît le plus.

Faussement entraînant et optimiste, Only Love Can Save Us Now fait office de single. On est à la croisée du gospel et de l'electro (dans une veine aussi proche de Counting Stars de One Republic que, osons, Capital G de Nine Inch Nails, je force un peu mais on n'est pas loin d'entendre Kesha annoncer qu'elle "push the button"). Si on ne prête pas trop attention aux paroles ça serait presque une bouffée d'air dans l'album.

All I Need is You, introduite par un discours de développement personnel ou dont on ne saurait dire s'il est sincère ou ironique, est une ballade aux synthés réduits à leur plus simple expression, dépouillée, plus classique et moins marquante. Pour l'histoire, le "you" n'est autre que le chat de Kesha, a-t-elle confié.

Par contre ça reprend nettement plus intéressant avec The Drama, selon moi le morceau le plus réussi de cet album. C'est ici que, dans ma tête, s'est fait le lien avec How to Destroy Angels, dans son chant épuré, les boucles synthétiques très marquées, un lien que je n'aurais jamais imaginé faire un jour. Relativement complexe et expérimental, sans contexte il est difficile de reconnaître Kesha si, comme moi, on était resté à Tik Tok. La fin façon Andrew Sisters parle encore de chats, avec miaulements inclus et surtout une reprise de I Wanna Be Sedated, de circonstance, en filigrane !

Encore un discours, en forme d'interlude, Ram Dass Interlude, où on nous explique que la vulnérabilité vaut mieux que la mort, et on enchaîne sur Too Far Gone qui, avec son dépouillement, ses choeurs distordus, illustre le propos. Comme All I Need is You c'est plus classique, proche des morceaux de l'album qui a précédé celui-ci.

Autre single, Peace & Quiet, son autotune spectral, sa basse enveloppante et synthétique, est une autre belle mise en scène de ce sentiment d'insécurité qui commence à nous coller à la peau depuis le début de l'album. Les "claps" cheaps ne suffisent pas vraiment à nous rassurer en nous ramenant sur un terrain dansant, le malaise installé ne partira plus.

Only Love Reprise est très jolie, avec ses étranges flûtes et ses voix impalpables.

Le moment vient tout de même où, malgré les cicatrices, Kesha illustre une forme de retour à la vie avec Hate me Harder. L'accompagnement est si dépouillé qu'il finit par disparaître au profit du chant. C'est réussi, manifestement sincère.

Pourquoi ne pas piller les Beatles un bon coup ? Happy le fait sans honte en pastichant A Day in the Life, dans son intro comme dans ses montées cacophoniques. Le son y est plus chaud, et on sent que malgré tout, si bonheur il doit y avoir, il faudra le forcer un peu.

C'est toujours difficile d'aborder ces albums nées dans la douleur, car ils sont beaux mais sont nés de la souffrance. Doit-on plutôt se dire qu'il vaudrait mieux que les artistes soient heureux plutôt qu'ils ne nous livrent en vrac, des Like Clockwork pour Queens of the Stone Age, des From the Inside pour Alice Cooper ou, In the Whee Small Hours pour le vieux Sinatra ? Les comparaisons sont cavalières, je le fais exprès. Il y a pourtant quelque chose de touchant lorsqu'on voit des célebrités comme Kesha, considérées comme des produits efficaces, passer dans l'ombre après avoir brillé dans les paillettes et la fête faussement interminable.

Finalement, c'est lorsque les fêlures se font les plus marquées que la lumière point le plus vivement à travers elles.

*Il fallait que ça sorte, désolé Adele.

I-Reverend
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le 21 août 2023

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I Reverend

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