True Detective
8.2
True Detective

Série HBO (2014)

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Saison 1:


Surprise ! Dans un premier temps, le sujet me rebutait. Récemment, j'avais vu la première saison d'Hannibal qui m'avait prodigieusement contrarié, par l'ennui et le bourbeux qui s'en dégageait, mais également par la lourdeur du dispositif, finalement putassier, ou pour être poli à la violence ostentatoire et dont la systématisation m'a très vite écœuré, puis lassé. J'en étais là des serial-killers et autres enquêtes glauques. Il est vrai que ça doit rapporter parce qu'on nous en vend à tire-larigot depuis quelques années. Je n'avais donc pas très envie de me replonger dans cet univers.


Mais les commentaires dithyrambiques incessants ont fini par titiller méchamment ma curiosité. Et ma femme et moi nous sommes pelotonnés dans le canapé pour découvrir, curieux et avides, une série qui réconcilie avec le genre. Et cela dit en passant, qui met une sacrée claque à la série Hannibal ! J'aurais du mal à ne pas me laisser aller à la comparaison au cours de cette critique, notamment sur le traitement du sujet diamétralement opposé. Je n'aimais pas beaucoup Hannibal, je crains qu'après avoir vu True detective, cela soit pire.


D'abord, ce qui frappe très vite, et n'en finit pas de se confirmer tout le long de la saison, c'est que True detective est comme toutes les grandes séries américaines (Mad men, The wire, Six feet under), écrite avec un soin tel qu'elles sont pleines de surprises et en même temps d'une grande justesse : évidentes.


Sur le papier, True detective pourrait n'être qu'une vague promesse de buddy-movie, polar noir, où deux flics recherchent un serial-killer dans le bayou de Louisiane. Mais il s'avère très vite que sur ce canevas traditionnel, d'un classicisme éclatant, les auteurs vont planter de nombreuses chausses-trappes. Beaucoup d'épisodes sont très différents. On en aura par exemple où l'on entre la psychologie des personnages principaux, où se précisent l'athéisme forcené, revendicatif de l'un et le besoin traditionaliste de normalité de l'autre. Puis l'épisode suivant montrera les hypocrisies de l'un et la radicalité de l'autre. Puis encore, un épisode assis sur les précédents s'offrira de grandes scènes d'action, lâchant les personnages sur un théâtre d'opération, en un seul plan-séquence, à la Michael Mann. On est soudain dans "Heat" quand on était jusque-là dans "Le silence des agneaux".


Plus tard, on s'enfoncera dans les marais pour retrouver la classique solidarité indéfectible des deux policiers "partenaires", mais qui se détestent finalement de façon très nette, à la limite de s'entre-tuer. Les relations affectives évoluent de façon parfois très surprenante, délaissant le schéma habituel du genre.


Et le cheminement des personnages est suivi par les spectateurs avec passion. On s'attache très vite parce que l'écriture nous embarque, littéralement. La saison 1 fait seulement huit épisodes, mais l'on finit avec l'impression d'avoir été totalement immergé dans cet univers, ce grand Sud poisseux, exténuant de mille peurs, avec son vaudou, ses rednecks hyper-trashs, ses prédicateurs hallucinés et donc ses crimes aussi glauques que non élucidés.


Mais à la différence de "Hannibal" qui aimait à montrer l'horrifique jusqu'à fatiguer l'œil et l'estomac, True detective est plus intense. Car la série suggère. Ce sont les visages dégoûtés, apeurés des personnages qui nous témoignent de l'horreur.


La réalisation de Cary Fukunaga est souvent très bonne. Il y place quelques trouvailles, des plans amusants, jolis ou juste bien pensés, en tout cas qui donnent à sa mise en scène une image très travaillée, très léchée. De toutes les façons, l'esthétisme de cette série en général plutôt réaliste, volontiers froide, souvent sombre comme il sied au genre, ce style bien habillé est parfaitement introduit par un des plus beaux génériques que j'ai jamais vu.


Patrick Clair en est le génial inventeur, grand spectacle d'une merveilleuse imagination, d'une beauté parlante qui m'a ému à chaque fois.


La musique de The Handsome Family l'accompagne avec bonheur. Ce duo de voix sur une musique folk, limite country est enivrant, tellement suave. Délice. Envoûtant : voilà le mot qui qualifie le mieux cette série.


Mais au delà de ses formes généreuses, la série propose grâce à la confrontation de ces deux détectives une réflexion critique très intéressante sur le plan intellectuel, philosophique et pourquoi pas oui, métaphysique. L'on y voit tour à tour s'interroger, s'affronter, s'ignorer deux conceptions, deux positions contradictoires, entre scepticisme et foi, entre vertu et cynisme. Pas sûr que tout le monde s'accorde sur le même personnage pour y accoler ces notions. C'est là tout le sel et l'ambiguïté de True detective. Tantôt l'un semble désespéré, tantôt l'autre paraît fuir ses responsabilités, et puis l'inverse devient aussi vrai. Finalement, tous deux en quête de solutions personnelles parviennent tant bien que mal à se retrouver sur une dette commune, qui dépasse leurs engagements aussi bien professionnels qu'intimes.


C'est compliqué à mettre en place par l'écrit, et pourtant ils y arrivent sans problème apparent. La série alterne scènes au présent et scènes de flash-backs avec une grande maîtrise. La lecture n'est pas heurtée. Le spectateur ne risque pas de s'y perdre et profite au contraire pleinement même de cette complexe et très évidente structure. Très agréable.


Il faut convenir que pour réussir un tel défi, il fallait un duo d'acteurs au meilleur de leur forme.


Matthew McConaughey est actuellement la coqueluche d'Hollywood et donc aussi de la télé américaine. Le mérite est indéniable : son jeu très sûr est pourtant ultra-compliqué à produire sans dérailler. Son personnage de junky, radical jusqu'au bout de l'âme, un poil sociopathe, sans doute brisé, sûrement tout aussi coriace, buté représente un amalgame de souffrance, de deuil, de culpabilité mal digérée et d'exigence morale qu'il est très difficile d'incarner sans déborder dans le pathos pleurnichard ou dans l'hystérie. Alors que son confrère Hugh Dancy dans Hannibal se révèle être une tête à claques soûlante, Matthew McConaughey reste toujours en équilibre sur un fil ténu. Et il se dégage de sa performance le sentiment de maîtrise absolue, de grande sécurité. Étonnant.


Woody Harrelson est un acteur que je n'aime pas particulièrement. Le peu que j'ai vu avec lui m'avait laissé l'impression d'un grimacier, d'une lourdeur, d'une grande vulgarité pour tout dire. Sa mâchoire prognathe, ses simagrées, son air con, ses jambes arquées et son accent à couper au couteau sont toujours là, mais servent enfin de compte admirablement ce personnage de gros beauf. Et quand l'armure sociale se fendille, il laisse apparaître un esprit plus fin, plus sensible qu'au premier abord.


Quand on compare les deux personnages, on ne sait trop qui est la béquille de l'autre. Finalement, ils ont tous les deux des fragilités, même si elles ne sont pas de même nature. Quoiqu'il en soit, c'est une matière très intéressante qu'ils façonnent là et exposent avec talent, sans démesure.


Je suis très admiratif devant une pareille œuvre. Ne connaissant pas Nic Pizzolatto, je ne sais quelle est la part du bonhomme à l'émergence de cette série. Je ne sais pas trop ce que signifie réellement "Créateur de série"... producteur exécutif en chef, réalisateur, gardien du script ou du cahier des charges, surveillant général? En tout cas, il est affiché comme scénariste. Je lui souhaite en tout cas du courage pour la saison 2.


DEBUT SPOILER :
Après un tel voyage dans les bas fonds de Louisiane, mais également dans les tréfonds de l'âme de ces deux flics, vers quelles nouvelles contrées nous destine-t-il ? J'ai peine à imaginer qu'on retrouve ces personnages. On les rencontre dans la fleur de l'âge, trentenaires, avec déjà une certaine expérience, pour ne pas dire "expertise", et ils finissent la saison vidés, bedonnant leur quarantaine bien entamée et flirtant avec les débuts de calvitie de quinquas. Je les vois mal rempiler après toutes les accablantes épreuves de cette première saison. Parce que leur parcours en enfer a quelque chose de... non pas initiatique, mais disons, qu'en guerre contre eux mêmes et contre les absurdités, les mensonges et les petites forfaitures de la vie, ils sortent de cette histoire sans doute complètement essorés, laminés, éreintés jusqu'à l'os. Cette saison est une expérience qui ne peut pas laisser indemne. La note ne peut être que salée. Je serais donc étonné de les voir se coltiner une enquête aussi difficile, une histoire aussi bouleversante.


FIN SPOILER
Aussi suis-je très curieux de voir comment va être abordée la deuxième saison.


http://alligatographe.blogspot.fr/2015/02/true-detective-season-saison-1.html




Saison 2:


Grosse déception. Je m'en doutais dès l'annonce de cette 2e saison, sans les personnages de la première. La saison 1 avait atteint un tel niveau d'excellence dans l'écriture qu'il semblait difficile de récidiver en recommençant à zéro, avec de nouveaux personnages, sur de nouveaux territoires. Mais j'espérais que les critiques aperçues à propos de cette nouvelle saison étaient orientées par la comparaison trop injuste avec la première, qu'il y avait de la peine à jouir ou de snobisme en tout cas une certaine mauvaise foi à leur origine, de l'excès tout au moins. J'espérais que la saison 2, bien que non excellente, serait au moins "bonne". 


Mais ce n'est pas le cas. Au contraire, le fossé entre les deux saisons est béant. C'est incroyable! Du jamais vu, me semble-t-il, mais j'ai peine à comprendre comment un tel écart peut se faire entre deux saisons, en terme de récit, d'écriture, de jeu, de mise en scène, d'atmosphère, tout est raté. C'est bien simple, il n'y a que deux ou trois éléments qui m'ont plu, le reste m'a paru mal fichu, voire imbécile. 


Le générique avec ses jeux d'images entre les personnages principaux et les paysages est toujours un joli moment visuel. La voix rauque et douce de Leonard Cohen est une caresse qu'il est ravissant de retrouver à chaque épisode. Mais un générique n'est qu'un habillage qui ne fait pas l'essence d'une série. 


J'ai bien aimé le jeu de Colin Farrell sur certaines scènes, pas toutes. Voilà un acteur dont je me méfie, peut-être à tort, sur lequel j'ai instinctivement quelques réticences. De sorte que je pensais a priori qu'il risquait de me saboter la saison, or, à deux ou trois reprises, son jeu très subtil, avec un personnage qui ne manque pas pourtant d'être parfois très grossier, par sa rusticité, sa lourdeur neurasthénique, m'a fait croire qu'il pouvait sauver la saison. En vain, sur la fin, la lourdeur du dispositif, la platitude du scénario et l'outrance du personnage finissent par ruiner ces espoirs de salut.


J'ai espéré que le personnage de Rachel McAdams allait, lui aussi, créer quelque chose de palpitant, de neuf. En fait j'ai cru voir chez ces deux comédiens la promesse de jeu et d'intérêt pour leur deux personnages qu'on avait progressivement vu se dessiner lors de la première saison avec Woody Harrelson et Matthew McConaughey. 


Quelle tristesse, quelle frustration de voir ces espoirs se vautrer méchamment la gueule dans les trois derniers épisodes quand la série montre un visage classique, tout à fait ordinaire, celui du film noir! Les clichés déballent leurs lieux communs et tout ce qu'on prévoit se déroule sous nos yeux. 
Qu'un récit noir soit noir ne dérange pas bien entendu, c'est un parti pris narratif commun, qui s'appuie sur une histoire de la littérature et du cinéma, c'est tout à fait naturel et logique. Néanmoins, ces conventions "noir" n'ont pas à vocation d'être mises en scène de façon aussi lourde, avec des procédés aussi éculés.


Je ne veux pas entrer dans les détails pour ne pas spoiler. Mais disons en gros que la fin n'en finit pas de finir. Le dernier épisode est carrément un râle interminable. Je n'en pouvais plus, cela me sortait par les trous de nez.


Il est vrai qu'un des personnages est joué par Vince Vaughn. Le pauvre homme a deux expressions à son actif qu'il utilise pour exprimer la colère, la surprise, la peur ou la tristesse. Il varie selon la météo entre ces deux. Pénible. Sans charme, sans dynamisme, sans présence, sans invention, cet acteur montre là ses limites. On a tendance à penser qu'un acteur comique sait tout faire. Vaughn en est la réfutation explicite. 


J'ai eu du mal également avec Taylor Kitsch, un peu pour les mêmes raisons, mais avec un truc coincé dans le fondement qui lui paralyse le sourcil ombrageux. 


Peut-être que l'une des plaies de cette saison est à rechercher dans cette trop grande offre de héros principaux. Quatre, c'est trop, surtout avec deux boulets dont on ne peut rien attendre. 


Et puis merde, ils ne sont pas du tout ébouriffants. Guère de matière à se mettre sous la dent, guère de surprise. Entre l'homo refoulé, le mafieux qui voudrait se ranger des voitures, la fliquette pornophobe et le policier dépressif alcoolique, on n'est pas véritablement servi par l'innovation. On pourrait à notre époque et compte tenu de la proposition faite en saison 1 s'attendre à une histoire un peu plus originale et couillue. 


En fait, on s'ennuie presque. Les derniers épisodes sont trop longs. Trop évident, le final semble s'allonger à l'infini et devient par conséquent très pénible. Même les acteurs qui tenaient encore la série sur leurs épaules s'écroulent et me fatiguent. Je me retrouve avec cette incompréhension : comment Nic Pizzolatto a-t-il pu être à l'origine de deux saisons aussi diamétralement opposées ? Mystère.


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Alligator
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le 7 févr. 2015

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