Tolkien or not Tolkien?

[Remarques générales. Je n'ai pas envie de juger et noter des films que je n'ai vus qu'une fois, souvent avec peu de connaissance du contexte de production. Je note donc 5 par défaut, et 10 ou 1 en cas de coup de cœur ou si le film m'a particulièrement énervé. Ma « critique » liste et analyse plutôt les éléments qui m'ont (dé)plu, interpellé, fait réfléchir, ému, etc. Attention, tout ceci sans égard pour les spoilers !]

Je m'étonne souvent de notre habitude culturelle qui normalise bien plus le fait de choisir son alimentation que de choisir les "produits" audiovisuels que l'on "consomme". Pourtant, ce n'est pas anodin, à quelles histoires nous consacrons notre temps et notre attention, de quels récits nous nous laissons imprégner. J'entends parfois des appels au boycott d'un réalisateur violeur impuni, mais jamais par exemple « moi je ne regarde plus de films qui se passent à Paris, ça donne l'impression que c'est la seule ville de France, j'en ai marre », qui serait pourtant un discours aussi acceptable que « j'achète au maximum des produits locaux, ras-le-bol de ces truc qui poussent dans des serres au bout du monde ». Pour ma part, j'essaie depuis quelque temps d'éviter autant que possible les préquelles, séquelles et autres spin-offs, les adaptations, les saisons supplémentaires de séries dont l'histoire de départ est achevée. Parce que bien souvent j'ai la sensation d'un barrage à l'imagination, qu'on joue uniquement sur mon plaisir de revoir des personnages, de retrouver des univers, de revivre des scènes... mais dans la plupart des cas, il reste un sentiment mitigé, ce n'était pas aussi bien, ça n'avait pas la fraîcheur du début, l'adaptation est moins bien que le livre, etc. Finalement on se fait avoir alors que simplement revoir ce qu'on avait bien aimé la première fois serait probablement une expérience plus agréable.

Mais, en l'occurrence, j'ai quand même vu la première saison de Rings of power. (Et ça m'a donné envie de me tenir à mon régime !)

Et j'aimerais réagir ici sur deux controverses autour de cette série. La principale étant : est-ce que la série est fidèle à Tolkien ?! Eh bien je pense que c'est une mauvaise question. Parce qu'il y a mille et une manières d'être fidèle. Tolkien est mort et on ne peut pas faire comme si on écrivait à sa place. Est-ce qu'être fidèle à l'héritage de Tolkien signifie respecter chaque détail de chacun de ses livres ? Ou le plus important est-il de placer des éléments marquants de ses ouvrages comme l'amour des elfes pour les arbres ? Quand Star Wars VII : Le Réveil de la Force est sorti, on pouvait entendre aussi bien « c'est super fidèle à la première trilogie, on retrouve tous les éléments » que « ça n'est pas du tout fidèle à la première trilogie, elle était super inventive et là tout est recyclé ». En l'occurrence, Rings of power choisit une certaine manière d'être fidèle à l'héritage de Tolkien... mais une chose est sûre, la série n'est pas écrite par Tolkien. Il va bien falloir que nous apprenions à accepter que toutes les bonnes choses ont une fin.

La deuxième controverse vient d'un petit groupe de réacs bruyant·es qui trouvent la série « trop woke », parce qu'il n'y a pas que des blanc·hes au casting. Peu importe, c'est un débat dont je pense qu'il ne mérite pas notre temps. Mais il me semble pertinent de rappeler que la Terre du Milieu est un univers né de l'esprit d'un homme cishétéro du vingtième siècle, et qu'il est fondamentalement empreint d'une lecture du monde obsolète. C'est notamment un univers fondamentalement raciste, avec ses races intrinsèquement maléfiques qu'il est donc légitime de passer au fil de l'épée. Il y a d'ailleurs dans le dernier épisode une tentative un peu dans l'air du temps de désamorcer ça, où on nous explique que Sauron ne veut pas détruire la Terre du Milieu mais la guérir, ce qui sonne faux à mes oreilles tant l'essence du bien et du mal joue un rôle central dans cet univers de fiction. Du côté de Star Wars encore, ça me rappelle The Mandalorian, qui ouvre la porte à une empathie avec les Stormtroopers, pose la question du bien-fondé des actions des « gentils » qui massacrent leurs ennemis par dizaines ; mais pour moi tout ça ne sert qu'à apporter le vernis de la « complexité », car il n'y a pas de remise en question profonde, et deux scènes plus tard les héro·ïnes font à nouveau sauter des Stormtroopers régiment par régiment. Ces impensés ne me gênent guère dans les sagas originales, des produits de leur époque que j'arrive à regarder avec de la distance, mais je grince des dents quand ces mêmes schémas sont reproduits aujourd'hui juste parce que la licence s'est bien vendue jusqu'ici donc va continuer à bien vendre.

Alors oui, 1 est une note un peu extrême, j'ai passé un moment correct devant The rings of power même si j'ai ressenti pas mal d'ennui... Mais plus que jamais, je pense que nous n'avons pas besoin de ce genre de séries, nées dans l'imagination d'ultra-riches pour qui l'art n'est que produit, qui se moquent bien de ce que vaudra celle-ci tant que ça joue suffisamment sur vos désirs (ça vous dirait de revoir un peu Gandalf ?) pour vous faire vous abonner à Amazon Prime... La production coûtera des milliards de dollars : vous imaginez toutes les chouettes histoires qu'on pourrait raconter avec des milliards de dollars ?...