Dans trois semaines, elle aura trente ans, trente ans, trois enfants, une belle ferme, une grande maison, un vacher, un commis, une bonne. Il crie qu'il est seul pour tout faire, qu'elle est un boulet, un tas. C'est vrai, il a raison, elle est devenue un tas, un gros tas. Il cogne dedans, dans les jambes, dans le ventre. Ne plus l'entendre, ne plus le sentir, surtout les nuits où elle le laisse faire. Il est le père de ses enfants, il est son mari, il a des droits. Elle n'en parle à personne, il faut faire semblant devant les gens, même sa mère, son père et ses soeurs. Ils se sont mariés un 30 décembre, en se mariant avec lui, elle est entrée dans une sorte d'hiver qui ne finira pas. Elle est comme une vache lourde, une vache fatiguée : elle rumine et elle attend.
La voix d'une femme abimée par ses grossesses et la transformation de son corps, une femme abimée par les coups de son mari. La parole d'un homme confronté à la vie rude dans une ferme isolée du Cantal dans les années 60 et qui traite sa femme comme ses bêtes et cela lui paraît normal. Les sensations de la fille cadette qui revient quarante ans après refermer la grille de la ferme et clore cette terrible histoire de famille dans un bref épilogue de 4 pages.
C'est un roman très dur comme la vie dans la France rurale de cette époque, un texte court (120 pages) mais intense, tout est suggéré, chaque mot a son importance. La plume si belle de Marie-Hélène Lafon nous raconte les choses simples de la vie quotidienne derrière lesquelles se cachent de terribles souffrances, l'isolement des lieux et la solitude d'une femme. Avec ses mots ciselés, elle nous raconte les secrets enfouis, un texte court mais à l'écriture précise qui nous touche au plus profond de nous. Un petit bijou donc à lire tout doucement pour bien en apprécier toute la puissance.